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À SUSE.

Quatre urnes ont été dégagées, mais derrière elles on en voit d’autres. Deux de nos meilleurs ouvriers, Agha (Maître) et Barouni (Pluvieux), ainsi nommé parce qu’il vit le jour sous un arbre par un grand abat d’eau, commenceront dès demain le déblayement du cimetière, à moins que le nom du terrassier ne nous porte malheur. Le temps se couvre, le ciel est sombre, pourtant le vent du golfe Persique, convoyeur ordinaire des nuages, ne souffle pas.

22 décembre. — À peine arrivions-nous à Suse, que Cheikh Mohammed Taher, le digne mollah à qui nous dûmes jadis d’échapper à la lapidation, nous écrivait une lettre affectueuse. Elle était confiée au soin d’un grand bonhomme, d’honnête figure, coiffé d’un turban volumineux et nommé, depuis peu, deuxième motavelli ou régisseur suppléant des biens vakfs de Daniel.

Le cheikh priait Marcel d’occuper ce personnage en qualité de surveillant. Machtè Mohammed Ali reçut donc le titre et la solde qu’il ambitionnait et fut commis au soin de regarder travailler ses camarades.

Hier, comme nous rentrions du cimetière parthe, Mçaoud se présentait très ému. Il a vu les ouvriers de la tranchée nouvelle se précipiter vers un même point ; il est accouru, mais on lui a barré le passage, afin de laisser à Mohammed le temps de cacher sous son aba un objet volumineux.

Nous n’éviterons jamais le vol, mais les ouvriers doivent savoir qu’on ne le tolérera pas. Un grand nombre de monuments précieux exhumés de Babylone par les agents du British Museum ont pris la route de musées rivaux. M. de Sarzec se plaignait d’être victime, pendant les fouilles de Tello, de semblables larcins ; il faut couper le mal dans sa racine. Un exemple est indispensable.

Mohammed Ali comparaît devant l’aréopage.

« Tu as dérobé un objet découvert dans l’excavation dont je t’ai confié la surveillance. Tu es doublement coupable.

— Je n’ai rien pris.

— Tu mens.

— Je ne suis pas un voleur.

— Jean-Marie, Mçaoud, liez les mains de cet homme, conduisez-le dans la maison et enfermez-le. Il sera privé de nourriture et de tabac jusqu’à ce qu’il ait avoué sa faute. »

La journée s’acheva sans incident ; mais, au moment de la paye, les travailleurs dizfoulis demandèrent l’élargissement de Mohammed. Sur un refus formel, ils regagnèrent le Gabré Danial, où s’organisent les complots tramés contre nous. Toute la nuit j’entendis des bruits inaccoutumés. À l’aurore nous étions debout. Pas un des deux cent cinquante ouvriers ne demanda une pelle ou une pioche ; les chantiers étaient déserts.