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NOËL.

Les clochettes tintent, carillonnent, la grosse cloche prend part au concert, l’orgue vibre sous la voûte gothique semée d’étoiles d’or, rayée de nervures qui viennent reposer sur les froides têtes des sires de Terride.

Métayers, villageois, hommes et femmes, grands et petits, entrent, se pressent, et la messe commence, la messe de minuit.

Quelle placidité sur les figures tannées de ces paysans vêtus de bure, tenant à la main le bonnet phrygien des Languedociens ou le béret des Béarnais, les yeux fixés sur l’autel flamboyant, suivant, sans le comprendre, un office où tous les versets sacrés respirent la joie et l’allégresse !

Pourquoi Jésus est-il né pendant un froid hiver ? pensent-ils. Pourquoi n’eut-il pas, comme nos châtelaines, bon feu, bon gîte ? Pourquoi, s’il préférait l’étable au château, ne vint-il pas au monde en la chaude saison de la moisson dorée, sur une gerbe encore parée de ses épis entremêlés de bluets et de coquelicots ?

Comme vous, paysans au cœur compatissant, je me posais ces questions et je les laissais sans réponse. Ici je reconstitue tout autre le tableau de la Nativité ; il m’a suffi de sortir un instant de notre maison et de promener mes regards autour de moi.

De la solitude où Suse cache ses malheurs, de l’uniformité ininterrompue de la plaine, du silence et de l’abandon aussi solennels que le tumulte, aussi vastes que les bruits humains qui retentissaient jadis sur ce sol, semble s’accroître l’immensité du firmament. La voûte céleste est claire, limpide, argentée ; la Voie lactée la traverse. Jupiter scintille tel qu’un soleil nocturne ; l’air est doux. Si les Mages eurent un souci dans leur voyage à la recherche de l’enfant, ce ne fut pas de traverser des plaines neigeuses et glacées, mais de retrouver tous les soirs leur guide stellaire au milieu des millions de mondes, fleurs de feu suspendues au dôme infini, et des météores filants qui parcourent l’espace comme d’éclatantes fusées.

C’est par une nuit sereine, sous un climat clément, que Jésus naquit.

« Or il arriva qu’en ces jours il parut un édit de César Auguste pour le dénombrement des habitants de toute la terre. »

Joseph et Marie partent ; ils vont se faire inscrire à Bethléem, parce que tous deux sont de la maison de David.

Un soir ils s’arrêtent dans un de ces caravansérails si communs en Orient.

Marie et Joseph sont pauvres ; ils n’oseraient prétendre aux chambres closes ménagées près de la porte : elles sont réservées aux voyageurs riches, accompagnés de serviteurs. Qui veillerait sur l’âne chargé de leurs bagages ? Les deux étrangers entrent, tels que des gens de leur condition, dans une de ces longues galeries qui entourent la cour. Une nef occupe le centre, à droite et à gauche des collatéraux voûtés. Ceux-ci, où se pressent, voraces, mulets, ânes et chevaux ; ceux-là, élevés