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MÉNÉLIK, ROI DU CHOA.

s’il se brise en chemin, sa valeur devient infime, car il ne sert plus qu’à saler la nourriture des animaux, aussi friands que l’homme de cet indispensable condiment. À part le sel, les caravanes transportent à Kaffa des armes de guerre — instruments de civilisation par excellence, — de l’eau de Lubin et des images d’Épinal fort prisées de la reine.

Je ne doute point qu’il ne soit nécessaire de soumettre les noires beautés du Choa à de nombreuses ablutions parfumées, mais le chargement d’une caravane annuelle doit suffire au décapage de toute la nation. Pour ma part, ce ne seraient pas des troupes et un gouverneur que j’enverrais à Obock, mais une compagnie de parfumeurs.

La conquête de l’Abyssinie par la pommade et les eaux de toilette, voilà l’avenir.

Au retour, les caravanes sont libres d’acquérir et d’emporter le miel, le café, le musc et la poudre d’or recueillie en très petite quantité dans les rivières. On ne traite pas ces divers achats avec de nombreux intermédiaires. Sa Majesté seule règne, brocante, accapare le produit des terres ou de l’industrie privée, et confond si bien ses intérêts avec ceux de ses sujets, qu’elle oublie le plus souvent d’établir une distinction entre les siens et les leurs.

Il est très chagrin depuis quelques années, l’excellent Ménélik. L’éléphant disparaît ; les défenses d’Abyssinie, si recherchées des Indiens, deviennent aussi rares dans les magasins royaux que le sourire sur les lèvres de madame Ménélik, à la veille de renoncer à l’eau de Lubin, faute d’ivoire pour la payer. En vain le couple souverain fait-il rechercher les cimetières où ces pachydermes vont mourir loin de tous les yeux : les ossuaires sont si bien cachés, que les plus habiles chasseurs sont revenus bredouilles. Le noir monarque a promis une couronne d’or à celui qui le mettrait sur une bonne piste ; il est à craindre que cette parure démodée ne soit pas fondue de sitôt.

De ses aptitudes commerciales ne jugez pas que le nouvel ami de la France soit un homme mal né. Fi donc ! Ménélik descend en ligne directe de la reine de Saba. Se targuant de cette illustre origine, il revendiqua jadis le droit de coiffer la couronne de plumes placée sur la tête du roi Jean. Défunt Salomon, un ancien ami de la famille, mit les deux princes d’accord en leur suggérant l’ingénieuse pensée de sacrifier Mars sur l’autel de l’hyménée — beau sujet de tableau — et d’assurer, par le mariage des héritiers présomptifs du Choa et de l’Abyssinie, la réunion des deux pays.

Si toutes les compétitions et les guerres se terminaient par l’holocauste peu coûteux de quelque divinité hors d’usage !

Un roi d’aussi noble souche que Ménélik ne peut se dispenser de rendre de fréquents hommages au Créateur ; à son exemple, les habitants du Choa, catholiques fervents, chôment le vendredi, le samedi, même le dimanche, et honorent si souvent