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À SUSE.

la Vierge, saint Michel et les bienheureux les plus renommés du paradis, que l’on célèbre à Kaffa trois cents fêtes annuelles. Soixante jours de travail assurent l’existence des familles condamnées à gagner leur pain à la sueur de leur front. Le reste du temps il est loisible aux gens des classes laborieuses de conserver la peau sèche, et nul d’entre eux ne se prive de ce plaisir.

Dans l’Éden abyssin, les fils de Bellone et les artisans sont également favorisés. Le héros assez fortuné pour compter à son actif les meurtres authentiques de dix Gallas a le droit de porter, outre le plumet fantastique emprunté aux Somalis et aux Danakils, une longue manchette d’argent qui couvre l’avant-bras. Faveur bien autrement précieuse, il peut se nourrir, sa vie durant, aux dépens des marchands de comestibles. Pareilles récompenses sont bien de nature à surexciter l’ardeur des guerriers du Choa. Dieu me garde d’ailleurs de contester leur courage ; ils sont braves jusqu’à la folie : l’armée égyptienne l’apprit à ses dépens.

Hélas ! tout n’est-il pas heur et malheur dans ce bas monde ! Si la vie est douce aux vainqueurs, si après la bataille ils boivent dans une délicieuse oisiveté l’hydromel versé à pleine coupe et se gorgent, sans désemparer, de galettes de dourah, il est interdit aux troupes royales d’être battues. Les chairs des fuyards sont déchirées avec des lanières de peau d’hippopotame ; les capitaines malheureux sont assommés à coups de coude dans le dos par des praticiens experts. Ce traitement permet aux clients du bourreau de rentrer au foyer domestique, mais leur assure l’éternité dans un délai qui ne dépasse pas quatre jours.

L’intendance de l’armée du Choa me paraît aussi devoir être prônée. Une troupe, forte de cinq à six cents soldats, vient-elle à s’ébranler, elle se fait précéder de milliers de femmes qui charrient les vivres, les munitions et les bagages des combattants. Ceux-ci s’avancent graves et nobles, fièrement campés sur leur cheval de bataille, et ne s’embarrassent même pas de la lance et du bouclier, que des esclaves tiennent à leur disposition.

Quand nous ferons assommer nos généraux vaincus, quand la plus belle moitié du genre humain qui effleure de ses talons Louis XV l’asphalte des Champs-Élysées portera sur ses blanches épaules les bagages des troupes, la régénération sociale ne sera plus un vain mot et notre patrie sera mûre pour de hautes destinées !

Concluons. Obock n’est pas une station de caravanes ; l’Abyssinie se suffit à elle-même et n’achètera pas de longtemps des produits français ; l’accès du Choa est difficile et le deviendra d’autant plus que l’on pensionne les chefs somalis. Il n’est petit sire capable de résister au plaisir de piller une caravane, si pareil fait d’armes constitue un titre à une rente annuelle de sept ou huit mille francs en échange d’une apparente soumission.

Partout où nous plantons le drapeau tricolore, il faut qu’il s’enracine. Mais