Page:Susejournaldes00dieu.djvu/335

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
319
L’ÉCOLE DES MULETS.

Si le Chah prétend faire passer les pyles persiques au taureau bicéphale, il peut mettre à la disposition de Marcel l’armée et les revenus de l’Arabistan.

Quant au seïd, on le verra bientôt. Peu lui importe de faire entrer ses mulets à l’école, pourvu qu’ils soient payés comme s’ils étaient savants.

6 février. — Notre vie est ballottée entre des inquiétudes cruelles, d’amères déceptions et des retours à l’espérance. Seïd Ali, le roi des seïds, endetté, colère, brutal, à demi fou, arrivait avant-hier, accompagné de trois tcharvadars et de onze mulets vigoureux : quatorze personnes, affirmait-il.

Les cours de charrette ont été ouverts sans délai. D’abord épouvantées, rétives, les bêtes brisèrent quelques pièces des harnais, sans déplacer le véhicule. Un malin eut l’idée de faire précéder l’attelage par une jolie jument. Quatre écoliers aux longues oreilles emboîtèrent le pas derrière elle, et la prolonge s’ébranla. Alors les mulets, pensant que le tonnerre grondait sur leurs talons, se retournèrent avec un effroi des plus comiques. Quant aux rebelles, les poils dressés, les yeux démesurément ouverts, ils regardaient passer avec stupéfaction et terreur leurs camarades plus dociles. Cette première expérience, en somme rassurante, a comblé de joie les muletiers, fort émus de ces « diableries », et calmé les inquiétudes des Faranguis, si embarrassés de leurs trouvailles. Chaque jour amène un progrès marqué ; mais que deviendront nos élèves quand il s’agira d’entrer dans les classes supérieures, c’est-à-dire de traîner les charrettes pleines !

8 février. — L’emballage du chapiteau se poursuit avec ardeur. La chèvre a été montée et mâtée.

Vingt ouvriers mis à la disposition de Jean-Marie manœuvrèrent si malencontreusement, qu’engin, pierre, caisse pirouettèrent dans l’air et allèrent tomber, tels que des projectiles formidables, en un point où, par bonheur, ne stationnait personne.

« Les Faranguis ont des machines bonnes à tuer quarante hommes chaque jour, » se contentèrent de dire nos maladroits. Cette conviction ne les empêcha pas de reprendre gaiement le travail et de se montrer aussi peu circonspects qu’auparavant. Le fatalisme a vraiment de bons côtés.

Hier je considérais navrée le superbe taureau découvert ces jours derniers. Douze mille kilos ! Impossible d’ébranler une pareille masse. M’abandonnant à un mouvement de rage, je saisis un marteau et frappai brutalement l’animal. Il s’ouvrit comme un fruit trop mûr, et un énorme bloc rasa nos jambes à peine assez agiles pour nous tirer de péril. La solidité du marbre était toute factice : depuis deux mille ans des racines pénétraient dans les fissures qui s’étaient produites lors de la chute du chapiteau, et préparaient la dislocation finale. Voilà un surcroît de bagage bien inespéré