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L’ARBRE AUX CHARRUES.

Marcel a riposté courrier par courrier :

« Le gouvernement français est légitime possesseur de la moitié des objets extraits des tumulus. Je demande le partage immédiat, et rendrai le gouverneur personnellement responsable, si par sa faute les transports ne sont pas achevés au moment du pèlerinage. »

Le chef de la mission avertissait également le Hakem que sept caisses pleines de pierres seraient bientôt dirigées sur Ahwaz.

Il est désespérant de penser que les greniers du Chah vont s’emplir de trésors archéologiques uniques au monde. Hier j’étais prise d’une névralgie faciale étrangement douloureuse ; aujourd’hui Marcel est en proie à une fièvre violente, conséquence de son état moral. Accès palustres, maux de tête, spleen horrible, tel est le bilan de ces dernières journées.

15 février. — Marcel a dû — grave détermination — sacrifier l’avenir au présent. Mirza Taguy revint sans qu’on l’en eût chaudement prié, planta sa tente près de la maison et déclara que Mozaffer el Molk l’avait commis au soin de surveiller les intérêts de Sa Majesté.

Le remords d’avoir montré visage revêche à un ami fidèle tourmentait nos cœurs compatissants. Il n’est jamais trop tard pour réparer ses fautes. Taguy, désormais à notre solde, prendra la direction des transports qui ne sont pas réservés au seïd tcharvadar. Le nouveau pensionnaire toucha hier son traitement et, monté sur un beau cheval confisqué à un Arabe, partit pour la ville, en promettant de ramener des chameaux et des mulets. L’achat de Mirza Taguy, la location de Seïd Ali et de ses quatorze auxiliaires, les salaires des cordonniers, forgerons, charpentiers, l’école des mulets, la nécessité de réserver les fonds indispensables aux transports, nous ont mis si mal en point, qu’il a fallu diminuer les dépenses journalières et renvoyer cent ouvriers.

Les sacrifiés me font pitié. Depuis trois jours ils piétinent autour des tranchées et, les larmes aux yeux, supplient qu’on les occupe. Ils se contenteraient du salaire le plus modique. Nous avons dû résister aux prières de ces malheureux demeurés sans pain. La plupart ont repris le chemin de leur tribu ; dix d’entre eux, plus persistants, paissent, comme nos moutons, mauves ou jeunes chardons et conservent l’espoir de se faufiler encore dans le chantier.

Moi qui blêmissais à la pensée de voir tarir le précieux filon des Immortels, j’en suis presque à me réjouir de son épuisement. Jamais je n’aurais pu m’arracher de la fouille, et cependant il devenait impossible de continuer les excavations ?

Cette cruelle alternative nous est épargnée. Sous les Immortels sont encore apparus des animaux apocalyptiques, des inscriptions susiennes, puis de la glaise, rien que de la glaise.