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VOYAGE À DIZFOUL.

— Pourquoi émiettes-tu ton cœur ?

— Aucune de mes femmes n’est capable de le recueillir tout entier. Croyez-vous donc que les Persanes ou les Arabes soient des sultanes ? Elles ne comprennent que deux choses : c’est qu’il faut broyer le blé et faire du pain pour ne pas mourir d’inanition. »

Voici les maisons de la ville, voici le pont sassanide et le château de Kouch où je n’étais venue depuis un an. Des tentes, plantées devant le palais, forment une longue avenue. Nous entrons graves, empesés. Je vois passer, tout courant, le Hakim bachy du gouverneur : « Le Khan est à la chasse, nous dit-il, mais il reviendra ce soir. Installez-vous dans mon appartement, je vous rejoins. »

On sert le thé, et dix minutes plus tard l’Esculape du palais rentre fort satisfait.

« Excusez-moi si j’ai négligé de vous introduire dans mon cabinet. Je coupais un bras, quand je me suis aperçu que j’avais oublié les ligatures, et je me hâtais, de crainte que le patient ne perdît trop de sang.

— L’opéré va-t-il bien ?

— À merveille. Je l’ai débarrassé d’un membre fracturé, déjà gangrené ; il est parti content.

— Comment, parti ?

— Mais oui ; sa tribu est campée dans les environs. »

Le Khan arrivait à la tombée de la nuit. La conversation fut interrompue vers dix heures du soir par l’entrée des tchelaus, pilaus, kébabs et autres combinaisons raffinées de la cuisine persane. Comme boisson, de l’eau de rose coupée d’eau claire. Après le repas, le gouverneur nous adressa des compliments fort bien tournés et nous fit conduire par quatre ferrachs porteurs de flambeaux dans l’appartement qui nous était destiné.

Quelle nuit ! les puces sautaient, gambadaient, tombaient dans notre bouche quand nous parlions, sur nos yeux lorsqu’ils étaient ouverts. Jamais je n’ai vu manœuvrer de pareilles légions d’insectes. L’aube nous trouva dans la cour, mis en fuite par les vampires.

Nous ne pouvions venir à Dizfoul sans nous montrer chez le Cheikh Taher. L’accomplissement de ce devoir nous donna un faible échantillon des difficultés qu’eût soulevé le passage des charrettes à travers la ville.

Pour atteindre la maison du pontife, il faut parcourir un quartier populeux et longer la place du marché. À peine apparaissons-nous, précédés d’une vingtaine de ferrachs, que des nuées de gamins accourent : « Les chrétiens ! les fils de chiens ! les voleurs de talismans ! » Des injures encore plus vives passent sur nos têtes à l’adresse de Mozaffer el Molk.

Les bâtons ouvrent un passage, les pierres sifflent ; la populace, refoulée, roule