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À SUSE.

pas de dignité à laquelle on ne puisse prétendre, de fonctions publiques que l’on n’ose briguer avec un pareil capital ! Ce fut l’histoire de Perrette et du pot au lait. Devenu riche, notre cuisinier manqua de respect à M. Houssay, dut rendre son tablier et se retira au Gabr pour implorer Daniel avant de s’élancer dans le monde. Le Khan arriva ; Mahmoud reçut les ferrachs avec magnificence, leur demanda protection auprès de Mozaffer el Molk, et fit entendre qu’il avait les moyens de témoigner sa reconnaissance. Le lendemain le pot au lait était renversé : la cachette violée et vidée. L’insolent désirait rentrer en grâce ; on ne pouvait le reprendre pendant l’absence de M. Houssay, mais on le regrette.

« Pauvre Mahmoud, qui durant notre voyage chez les Bakhtyaris nous fit manger soixante poulets frits en trente jours ! » disait M. Babin.

Pauvre Mahmoud, à qui j’appris si péniblement qu’il faut laver ses mains au moins une fois par jour et ne point… souffler dans les timbales pour les faire briller !

Il s’agissait de choisir un cuisinier ; les ouvriers, assemblés, ont nommé l’un d’entre eux. Fier du suffrage de ses camarades, l’élu a pris possession de la triomphante officine de roseaux.

8 mars. — Jean-Marie avait accompagné M. Houssay jusqu’au Chaour, l’obstacle le plus sérieux qui se présente entre Suse et Ahwaz. Le voici de retour ; le gué a été franchi après trois jours d’effroyables efforts. Tranquille de ce côté, Marcel voulut rendre au gouverneur une visite dont les résultats avaient été si heureux. Nous ne partîmes pas sans appréhension : c’était la première fois que nous abandonnions le camp.

Après avoir déjeuné sur les bords de l’Ab-Dizfoul, nous avançâmes solennels, ainsi qu’il convient à des personnages de gros os. Mirza Tagui, Mçaoud, quatre cavaliers sous les ordres d’Abbas, homme de confiance de Papi Khan, formaient l’escorte.

Que faire, si ce n’est causer ?

« Logeras-tu au palais, ou t’installeras-tu avec tes camarades ? ai-je demandé à Abbas.

— Les cavaliers iront au caravansérail, je me rendrai chez ma femme.

— Comment, toi, un nomade, tu as deux femmes ! Préfères-tu celle de la ville à celle des champs ?

— Je suis le serviteur de celle chez qui je me rends. L’Arabe est jalouse ; j’ai la certitude qu’elle me battra, mais je m’excuserai d’être venu ici en arguant de vos ordres.

— La Dizfoulie est-elle plus accommodante ?

— Elle me reçoit bien quand je lui porte de l’argent ; il lui est indifférent de ne pas me voir.