Page:Susejournaldes00dieu.djvu/354

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
338
À SUSE.

Nous sommes voisins du Chaour, et de ce tunage qui nous empêcha de lancer des embarcations.

Des fleurs charmantes diaprent l’herbe verte. Dans mes bras s’empilent des gerbes embaumées : tulipes aux éclatantes couleurs, pâles volubilis, bruyères rouges, plantes épineuses couvertes de gueules d’or, grappes charnues qui n’ont pas d’analogues en nos pays.

Vous allez vous faner ? Pourquoi vous ai-je cueillies, pourquoi vous ai-je tuées ? Vous étiez assez belles pour vivre tout un jour !

1er avril. — La caravane passa le Chaour à Bendè-Cheikh. Les caisses furent amenées sur la rive droite sans accident notoire. A droite, j’aperçus la tribu stationnaire de Seïd Ahmed, installée devant Kalehè-Bender ; plus bas un imam-zadé où se rendent les gens mordus par les chacals enragés.

J’ai pu noter quelques strophes de la chanson qu’improvisent la nuit les veilleurs du campement :

« Quand j’étais jeune, je n’avais pas de souci ; je ne savais pas s’il existait des soucis ou si mon cœur les ignorait.

« Si les Faranguis, qui ne volent pas, qui ne battent pas, venaient à Suse, les nomades bâtiraient des maisons autour de leur palais, et le pays serait prospère.

« Si les Faranguis, qui ne volent pas, qui ne battent pas, venaient à Suse, on cultiverait la terre, on aurait à profusion gerbes d’or, cavales, buffles et moutons. Nul ne s’en emparerait, et le peuple vivrait heureux.

« Quand un homme possède quatre krans, le gouverneur lui dit : « Donne-moi cinq krans. » Et le malheureux, sans force ni courage, meurt de faim.

« Si le roi s’asseyait au feu des tcharvadars, je lui dirais : « Sultan, Allah te demandera compte des crimes commis sous ton règne. Ton sommeil est donc bien lourd, que les plaintes de tes esclaves ne parviennent pas à te réveiller ! »

2 avril. — Les Khassérés dont nous traversons aujourd’hui les campements descendent tous du Prophète ; tous sont voleurs de profession. Yacoub, interrogé avec insistance sur le contenu de nos caisses, répond aux indiscrets : « Nous portons des fusils destinés à l’armée du Chah Zadé. Chut !… secret d’État. »

3 avril. — Au bord du Chaour. — Une tribu établie sur l’autre rive traverse le cours d’eau à la nage, afin de nous examiner de plus près.

Les hommes se précipitent, puis viennent les femmes, soutenant des grappes d’enfants nus. Ils sont deux cents, serrés autour de nous. « Jamais, disent-ils, nous n’avions vu des gens si blancs et si bien vêtus ! » (La peau et les habits de Suse !)

4 avril. — Nous voici dans la partie la plus mal famée du désert. La Kerkha roule ses eaux tumultueuses à cinq cents mètres de distance ; au delà s’étend