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À SUSE.

de six ans, qui s’était jetée sur le corps sanglant de sa mère, donnèrent l’éveil. Les coupables s’enfuirent, poursuivis par les balles des gardiens postés sur les terrasses. On entendit des gémissements, des cris déchirants. Le jour vint. Au pied du mur de clôture qui limite le jardin gisaient deux cadavres sans tête ; les voleurs avaient sacrifié ceux des blessés qui ne pouvaient les suivre, et laissé sur le terrain des corps incapables de compromettre les survivants.

Douze personnes ont été mises en état d’arrestation ; la tirelire de prévoyance est bien garnie, les prisonniers ne moisiront pas sous les verrous.

21 avril. — Sur le Karoun. — Le lendemain de notre arrivée à Bassorah, les bateliers furent assemblés par l’agent consulaire. Le refus de remonter l’Ab-Dizfoul ne se fit pas attendre. Le soir même, nous contractions un emprunt, changions en monnaie persane notre réserve personnelle et repartions pour Felieh, désolés, mettant notre unique confiance en Cheikh M’sel. Lorsqu’il comprit que tout espoir de nous entendre à l’amiable avec des bateliers était perdu, le cheikh fit appeler le chef de sa marine, un noir superbe :

« Arme six belems, désigne pour les conduire vingt-quatre nègres, vigoureux et de bon courage. Chaque bateau sera rempli de dattes et de riz. En outre, tu donneras à l’équipage l’autorisation de requérir sur mes terres les moutons nécessaires à leur nourriture. Tes hommes doivent remonter le Karoun, entrer dans l’Ab-Dizfoul et arriver jusqu’à Kalehè-Bender, où sont les caisses des Faranguis. Tous seront ici demain matin ; Saheb leur comptera la moitié de la location, que je fixe à trois cents francs par belem. J’ai dit. »

Comme le cheikh l’avait ordonné, vingt-quatre nègres d’une force herculéenne venaient au rendez-vous. Ils prenaient les fonds et baisaient les mains de leur maître.

« Qu’il soit fait comme j’ai ordonné.

— Sur nos yeux, ce sera fait. »

Notre émotion n’avait d’égale que notre reconnaissance ; Cheikh M’sel l’a bien compris.

Il était d’autant plus généreux à lui de s’occuper de nos affaires qu’il avait de graves soucis. Des tribus campées au sud de Felieh ont refusé l’impôt. La guerre a été déclarée, et l’on apprêtait les navires, copiés, semble-t-il, sur les nefs de saint Louis, qui doivent transporter les troupes du cheikh en plein pays rebelle.

Huit cents hommes vêtus à leur guise, mais armés d’excellents martinis, s’empilaient sur les bateaux. Cordages, chaloupes, bordages, échelles disparaissaient sous des grappes de têtes coiffées de couffès aux couleurs éclatantes. Au-dessus de cette foule bariolée étincelaient les fusils, dont aucun guerrier ne se dessaisit. Quel enthousiasme ! quel délire ! Sur un signe du cheikh toute la tribu l’eût suivi. Les cavaliers eux-mêmes eussent abandonné leurs chevaux, inutiles dans un pays