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INTERVENTION DU CHEIKH M’SEL.

coupé de canaux et de marais. Mieux que le coq, l’homme est un animal de combat. Rezal, le jeune frère de M’sel, me pria d’intercéder pour lui.

« Si j’écoutais mes parents et mes soldats, me répondit le cheikh, il ne resterait ici que des femmes. Que ma mère n’est-elle là ? Je lui confierais la garde de Felieh et je partirais tranquille. Elle était le plus vaillant guerrier de la tribu… L’odeur de la poudre, qu’elle aimait tant, ne la réveillera plus ! Rezal doit me remplacer. »

Cheikh M’sel accompagne ses troupes, mais il ne conduira pas la bataille. Les beaux jours sont passés où, capitaine de l’armée paternelle, il se lançait furieux dans la mêlée, le sabre aux dents, le pistolet au poing. Son beau-frère commandera les manœuvres, tandis qu’assis sur un point culminant il suivra des yeux les péripéties du combat.

Xerxès sur un trône pendant la bataille de Salamine.

Comme l’expédition s’éloignait, nous reprenions encore la route de Bassorah, afin d’envoyer un télégramme au commandant du Sané et le prier de nous attendre une vingtaine de jours. Puis nous sommes montés sur un septième belem, disposés à pousser les bateliers l’épée dans les reins, si cela devient nécessaire. Trois cavaliers de Cheikh M’sel, partis le même jour, portent à Suse un sac de krans et la nouvelle de notre prochaine arrivée à Kalehè-Bender.

22 avril. — La remonte du Karoun est horrible ! On doit haler les bateaux ou avancer à la gaffe quand la végétation des rives devient buissonneuse. Aucun abri contre un soleil intolérable ; des réverbérations éclatantes, des moustiques voraces, des mouches serrées en légions si nombreuses, qu’habits, casques et figures sont noir de jais. Nous souffrons cruellement. Les journées se passent sans que nous échangions une parole. Parler serait gémir, mieux vaut se taire.

Il me semble par moments être coiffée d’une calotte de fer rouge. L’enfer est vide et tous les diables sont ici. Les maxima journaliers du thermomètre suspendu au mât varient entre 59 et 67 degrés centigrades. À Paris, entouré du bien-être que donne une civilisation raffinée, on gémit, on étouffe, on meurt, par des températures moitié moins chaudes.

Au coucher du soleil le belem s’arrête, car nos hommes, par crainte des lions, ne veulent pas marcher la nuit, et l’on respire pendant quelques heures. Les bateliers profitent de ce repos pour tuer un mouton, le dépecer et le cuire. Faute de manger la bête à moitié vivante, ils risqueraient de se régaler de viande pourrie. Ahwaz approche, nous l’atteindrons dans deux jours.

26 mai. — Tous en vie ! sous pavillon français ! à bord du Sané !

À quoi tient-il que je ne reprenne le chemin de France sous la forme d’un colis plus léger et moins précieux que les autres ? C’était écrit !

Avant d’atteindre Ahwaz, le Karoun décrit une grande boucle. Une demi-étape