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À SUSE.

sépare le barrage d’un village situé en aval du coude, tandis que les mariniers doivent encore haler deux jours pour atteindre la digue. Il nous sembla qu’abandonner le belem, c’était fuir une fournaise. Des chevaux furent loués ; nous partîmes.

La terre miroitait, éblouissante de blancheur, telle qu’une nappe de craie ; des colonnes d’air chaud montaient à nos visages, plus suffocantes que les rayons du soleil lui-même. Des mouches suivaient la caravane, bourdonnantes comme autour de cadavres en putréfaction, ou s’abattaient sur nous aussi serrées que les anneaux d’une cotte de mailles. Les chevaux marchaient lentement, les hommes étaient sans voix, sans force pour les exciter.

Soudain, je me sens frappée à la nuque. La douleur s’élève vite derrière les oreilles ; un sang décoloré coule de mon nez et arrose la selle.

La sensation de la mort m’est venue nette, sans autre angoisse qu’une horrible douleur de tête : « Je vais mourir ! » ai-je dit à Marcel.

On m’étendit sur le sol, où j’étais tombée comme une masse ; des manteaux et des selles on forma un abri quelconque. La nuit venue, mon mari me chargea sur un cheval, et la petite caravane gagna Ahwaz.

Je retrouve mes souvenirs trois jours plus tard, dans la maison du cheikh.

J’étais très malade, Marcel se désolait, mais les bateaux approchaient de Kalehè-Bender.

Un matin on annonça l’apparition de M. Babin, de l’autre côté de la rivière. Le surlendemain, les six belems portant les taureaux ; M. Houssay et Jean-Marie arrivaient à leur tour. La dysenterie, la fièvre, l’insolation avaient exercé leurs terribles ravages sur nos compagnons d’infortune ; en quinze jours ils avaient vieilli de dix ans, et pourtant, malgré tous leurs efforts, une volute du chapiteau était demeurée en arrière. Obtenir que les bateliers revinssent sur leurs pas fut impossible. De ces nègres beaux, superbes, il restait des êtres maigres, hâves, la peau déchirée par les buissons des rives entre lesquelles gémit le cours d’eau impétueux.

Depuis Ahwaz la flottille avait mis huit jours pour remonter à travers des tourbillons et des rapides un torrent descendu en vingt heures. J’avais repris courage ; je proposai à Marcel de nous mettre à la recherche du seïd tcharvadar qui s’était enfui, et d’aller tous deux conquérir la volute ; on se rit de moi.

Il était dit que nous devions réussir jusqu’au bout dans notre entreprise. Mozaffer el Molk, obligé de quitter Dizfoul et Chouster en pleine révolte, s’était dirigé sur Ahwaz, dans l’intention de passer chez Cheikh M’sel les quelques jours de vacances que lui procuraient ses administrés. Celui-ci nous eût même donné son navire à vapeur pour remonter jusqu’au barrage, s’il n’eût craint de le voir