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ADEN.

limité par les promontoires violâtres qui s’avancent au milieu des eaux bleues, se déploie dans toute sa beauté. On s’élève encore ; les regards franchissent les premiers plans, dominent les terres basses que blanchissent à l’horizon des dépôts de sel situés entre Aden et Cheikh Otman, distinguent les jardins de ce village semblables à une oasis, puis les mâtures des nombreux bâtiments à l’ancre dans le port, et se reportent enfin sur les deux sommets rocheux, jambages de la porte colossale qui met la mer en communication avec la baie.

Et le petit cheval galope toujours, entraînant sans faiblir la voiture pleine. Il croise des chameaux chargés de balles de moka ; il regarde avec envie les beaux équipages qui portent les parsis à leurs comptoirs de Steamer-Point, et s’écarte prudemment des officiers anglais descendant à fond de train les raides lacets : la bonne bête ne se soucie pas de traîner un supplément de poids et se demande à chaque tournant si chevaux et cavaliers ne vont pas se précipiter au milieu de ses voyageurs.

Enfin, nous atteignons le col. Un ouvrage fortifié précédé d’un pont-levis en défend l’accès. La porte est ouverte depuis l’aurore jusqu’à huit heures du soir. Même en plein jour le corps de garde est encombré de red coats. Précaution illusoire : la clef de la place appartient, une fois l’an, à qui veut la prendre. Pendant la nuit de Christmas on chercherait vainement un bon Anglais, fût-il soldat ou général, en état de veiller sur ce poste.

Au delà de la fortification, la route passe entre deux murailles de rochers taillées par la nature et régularisées à la mine. Dès la sortie du défilé apparaissent les maisons blanches d’Aden, entourées de montagnes grises. Vis-à-vis de moi le rocher s’aplatit devant un horizon de mer. Sur les flots couleur d’acier se détachent un phare blanc et les casernes grises de la garnison anglaise.

Comme autour de Malla et de Steamer-Point, les hauteurs sont couronnées d’ouvrages reliés par des chemins couverts. Le piton isolé qui se dresse à droite de la ville supporte une construction circulaire aux murs blanchis à la chaux. Un vol d’oiseaux de proie monte la garde au-dessus de la tour du Silence, le dakhma des parsis, où l’on a dernièrement déposé le corps d’un adorateur d’Aouramazda[1].

Les maisons de la ville sont basses, percées d’ouvertures nombreuses et rappellent comme aspect les constructions italiennes. Des cafés ventilés, des boutiques de comestibles où s’étalent les beaux légumes venus de Cheikh Otman se succèdent dans la rue qui conduit à la place du Marché. Là s’amoncellent, dans des parcs étroits, chèvres et moutons, charges de sorgho et de foin, ronces à brûler apportées par de longues caravanes de chameaux.

  1. Voir la Perse, la Chaldée et la Susiane, par Jane Dieulafoy, page 137. Librairie Hachette.