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À SUSE.

Le cocher joint à ses fonctions habituelles celles de cicerone ; il nous conduit d’abord chez un Français qui habite Aden depuis de longues années et monopolise le commerce des cafés. M. Tian me propose de visiter ses magasins, où une multitude de femmes trient les cafés de Moka avant de les expédier en Europe. Les grains les plus petits et les moins réguliers proviennent d’arbustes sauvages ; leur arôme est d’une extrême finesse. On doit cependant les enlever, pour donner à la marchandise un aspect qui nuit à sa qualité, mais satisfait l’acheteur innocent.

Comme il serait charmant d’écrire un traité des idées préconçues ! Aux fraises des bois ne préfère-t-on pas les gros fraisards sans parfum, les roses monstrueuses venues en serre aux frais bouquets d’églantier ou de fleurs des champs, les joues fardées au duvet de la jeunesse, les raideurs et les déformations à l’épanouissement de la Vénus de Milo !

Presque toutes les trieuses sont noires de peau, fanées par le travail, mais vêtues de robes sans couture, drapées avec un art inconscient.

« Ne partez pas encore, nous dit notre hôte : voici un Arabe qui vient me proposer cent balles de café. » Le marché se traite devant moi, et pourtant il me serait difficile d’en suivre les péripéties. Les deux négociants réunissent leurs mains au-dessous d’un foulard épais, et, les yeux dans les yeux, entrent en communication. Les pressions exercées sur la première phalange indiquent les unités, sur la seconde et la troisième les dizaines et les centaines. Les gens d’Aden ont une telle habitude de ce langage muet, qu’une affaire importante, avec le marchandage qu’elle comporte, se conclut sans échange de paroles et à l’insu des curieux.

Comme à Steamer-Point, presque tout le commerce est entre les mains des parsis. Depuis de longues années déjà, nombre de négociants étaient venus camper dans la ville arabe. Mais, privés de prêtres et d’édifices religieux où ils pussent célébrer les cérémonies du culte, ils n’amenaient pas leur famille et, fortune faite, regagnaient les Indes. Le gouvernement anglais ne tarda pas à constater l’heureuse influence des guèbres sur la prospérité de la colonie, et autorisa les sectateurs d’Aouramazda à bâtir un pyrée et un dakhma (tour funéraire). Le feu sacré, solennellement apporté de Bombay, au grand mécontentement des musulmans, précéda les familles des négociants les plus riches et les mieux posés d’Aden.

Marcel veut donner à nos jeunes camarades le réjouissant spectacle du dakhma. Un mur d’enceinte enclôt un emplacement rectangulaire, aux extrémités duquel s’élèvent deux maisons blanches. L’une est le temple du feu, où les mobeds (prêtres) entrent seuls ; l’autre comprend un salon ajouré par des portes-fenêtres. On nous introduit dans cette pièce, réservée aux fidèles. Elle est blanchie à la chaux, meublée d’une grande table entourée de sièges, et ornée de chromolithographies de souverains morts ou détrônés.