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À SUSE.

magasins des parsis ; le plus grand nombre s’attablent devant les cafés et achètent, en buvant du champagne détestable, des plumes d’autruche offertes par des juifs, des casse-têtes ou des bracelets d’argent ayant plus ou moins appartenu au roi Ménélick. Quand s’est écoulé le délai accordé aux passagers, chacun retourne à bord, pliant sous le poids d’acquisitions hétéroclites.

11 janvier. — Le Huzara mouillait hier soir en rade de Steamer-Point. Nous avions une telle crainte de manquer le départ, qu’une heure après l’arrivée du paquebot la mission était embarquée.

Le commandant et les officiers sont Anglais ; la barre passe des mains des Indiens dans celles de matelots américains, allemands ou suédois ; le charpentier a vu le jour sur les rives du Peï-ho ; des Portugais de Goa, fortement mâtinés d’asiatique, sont chargés du service.

On parle à bord toutes les langues, mais on les parle peu, car état-major et passagers ne cessent de manger :

7 heures, premier déjeuner : thé, café, chocolat ; pommes de terre.

9 heures, second déjeuner : quatre plats ; pommes de terre.

1 heure, lunch : hors-d’œuvre, trois plats chauds, deux plats froids, dessert ; pommes de terre.

4 heures : thé, beurre et gâteaux ; pommes de terre.

6 heures, dîner : cinq plats, dessert, pommes de terre.

8 heures : thé, café, limonade ; pommes de terre.

Nos compagnons de table suffisent à de pareilles exigences et considèrent avec mépris des estomacs incapables de lutter avec des autruches faites hommes.

Si le cuisinier et ses acolytes sont toujours en travail, ils n’enfantent aucun chef-d’œuvre ; puis le système qui consiste à présenter à chaque convive un menu composé de douze plats dans lequel il est autorisé à choisir ceux qu’il préfère, peut convenir à des fils d’Albion, mais nécessiterait de notre part une étude approfondie du Manuel du parfait cuisinier anglais, édité à Goa.

15 janvier. — Le Huzara est un féroce marcheur : sans se presser il file six nœuds à l’heure. Encore si l’on était en sécurité sur cette tortue marine ! Hier j’ai entendu le second qui se félicitait d’avoir terminé le nouvel arrimage des caisses d’allumettes, arrimage fort compromis à la suite d’un coup de vent supporté par le Huzara la veille de son arrivée à Steamer-Point. Avoir abandonné une cartouche pour monter sur un bâton de phosphore !

Le bord, plus monotone encore que l’hôtel de l’Univers, offre comme unique distraction le spectacle d’une famille zanzibarienne. Hadji Mohammed, grand vizir du sultan de Zanzibar, se rend au célèbre pèlerinage de Kerbéla ; mais avant d’atteindre