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À SUSE.

les remparts. Soldats et officiers persans, de paisibles agneaux se métamorphosant en lions, déposent leurs armes, escaladent les murailles hautes de six mètres, les franchissent et ouvrent les portes aux moins agiles.

La guerre cependant ne devait pas se terminer sans effusion de sang.

Les Arabes s’étaient réfugiés partie dans la citadelle, partie sur les bateaux demeurés en rade. Vers le soir, des soldats d’Hamadan vinrent innocemment sur la plage respirer la brise de mer. Terrifiés à leur aspect, les Arabes qui n’avaient pu s’embarquer se jetèrent à la nage et tentèrent de rejoindre les belems. Les Persans retournèrent au camp, ramenèrent un canon de douze et le pointèrent sur les fuyards. Ils mettaient le feu à la pièce quand une salve à mitraille, tirée de la citadelle, abattit un capitaine, un lieutenant, vingt-huit hommes et quatre chevaux. Il aurait poussé à nos héros des ailes de perdreaux ou des jambes de lièvres qu’ils ne se seraient pas enfuis plus vite. Cependant les troupes royales rétablirent le combat. Trois jours durant, elles bombardèrent la citadelle et ajoutèrent une page nouvelle à l’épopée nationale en emportant l’ouvrage veuf de ses défenseurs.

Le coffre-fort du chah prit une part active et directe à ce succès ; les généraux, au lieu de courtiser l’éloquence guerrière, avaient suivi l’exemple du médecin en chef, et promis un beau toman d’or à tout homme qui apporterait une tête d’Arabe. Je laisse à deviner le sort des prisonniers. Tous furent passés au fil de l’épée, y compris le commandant de la place, le Beloutchi Mollah Seïd. Les Iraniens laissèrent sur le champ de bataille cent cinquante blessés et cinquante tués ; leurs ennemis perdirent huit cents hommes. Le fils de l’imam de Mascate, atteint grièvement comme il regagnait un bateau sous une grêle de balles, put néanmoins rapporter à son père la nouvelle du désastre.

Depuis cette facile victoire, Bender-Abbas a le bonheur de posséder un gouverneur persan. Elle n’en est pas plus fière et se glorifie seulement de ses belles mandarines, de son air humide et des chaleurs accablantes de ses étés.

28 janvier. — L’Assyria n’a pas rangé la côte et suivi le canal peu profond situé entre le continent asiatique et l’île de Tavila. Le navire se dirige vers le détroit d’Ormuzd, qui met en communication la mer d’Oman et le golfe Persique. La terre apparaît violette et décharnée sous la lumière crue d’un ciel orageux ; les éclairs déchirent l’horizon dans la direction du Ras-el-Djébel et de la côte arabique.

La mer bondit, l’écume blanchit la crête des vagues ; des embruns embarqués à l’avant balayent le pont de l’une à l’autre de ses extrémités. Officiers et matelots revêtent leur suroi de toile jaune et chaussent les grandes bottes étanches.

29 janvier. — Les claires-voies ont été fermées pour la première fois depuis notre départ de Kurachee ; la nuit nous a paru éternelle dans les étuves closes qui servent de cabines. À la pointe du jour, une violente secousse ébranle le bateau