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À SUSE.

Si le vent mollit, la pluie s’abat torrentueuse. Le belem de la poste vient chercher les passagers ; comme à Bender-Abbas, il touche fort loin de la plage. Mais les indigènes ont aperçu des casques blancs ; ils lancent à l’eau des ânes vigoureux et, grimpés sur ces montures, accostent l’embarcation. Un quai naturel défend la ville contre les hautes marées. Au sud s’élève l’hôtel de la poste, grand bâtiment surmonté du pavillon anglais ; au nord trône une batterie de canons archaïques. Ces pièces se prélassent devant la résidence officielle du cheikh Aïssa Ben Ali, sultan de Bahreïn. Malgré son palais et son artillerie, le cheikh Aïssa est un prince… décoratif, car il est bien connu que les îles riches sont la propriété incommutable de l’Angleterre. Bahreïn ne fait pas exception à la règle : ses nombreux habitants pensent et vivent sous l’aile protectrice du colonel Ross, jaloux de leur faire digérer les marchandises anglaises : clous, draps, sucres, cotonnades et riz des Indes, que la British India apporte tous les quinze jours.

Actuellement les bazars, où s’empilent des myriades de poissons secs, paraissent calmes, presque déserts. Il n’en est pas toujours ainsi. Au mois de mars la ville s’éveille. Le commerce des perles y amène les tribus de plongeurs et les marchands indiens : exploités et exploiteurs. Le cheikh, afin de ménager le repeuplement des bancs, désigne lui-même l’emplacement où chaque bateau doit pêcher ; au signal convenu les embarcations sortent du port.

Le plongeur adresse une courte invocation à Allah, aspire sa provision d’air passe l’orteil droit dans l’anneau d’une galette de plomb, se munit d’un filet que maintient ouvert un cerceau d’osier, s’arme d’un long poignard dont il se servira contre les requins et, après avoir lié autour de ses reins la corde qui le met en communication avec la barque, se précipite dans le gouffre azuré.

Entraîné par le lest suspendu à son pied, le pêcheur atteint le banc, ramasse les huîtres, les jette dans le filet et se fait hisser dès qu’il se sent oppressé. Les Arabes de Bahreïn restent de soixante à soixante-dix secondes sous l’eau ; quelques-uns d’entre eux, devenus légendaires, demeuraient pendant six minutes au fond de la mer. De même, certains hommes sont fatigués après avoir plongé douze fois ; d’autres soutiennent ce pénible travail durant plusieurs heures. Un nouveau signal rappelle les bateaux. Les huîtres, déposées sur une grève soigneusement close, sont jetées dans des chaudières d’eau bouillante, ou abandonnées jusqu’à ce que la décomposition des matières animales permette de les ouvrir sans endommager la perle.

Patrons et acheteurs surveillent avec la même vigilance la séparation de la coquille et du manteau. Les ouvriers employés à ce travail sont trop peu vêtus pour qu’il soit nécessaire de visiter leurs poches chaque soir ; on se contente, quand l’un d’eux porte la main à la bouche, de le purger avec énergie et de nettoyer ainsi les cachettes les