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BOUCHYR. — FELIEH.

Le massif de la citadelle fut attaqué tout d’abord ; trois mois durant, le général Williams, puis Sir Kennet Loftus, sillonnèrent de tranchées les tumulus qui s’élèvent auprès du célèbre tombeau de Daniel.

Le succès répondit mal à l’attente des Anglais. Quelques bases de colonnes saillant au-dessus du sol, quelques fragments de sculptures amenèrent la découverte des substructions d’une grande salle hypostyle. Ce fut tout.

Des démarches maladroites pour s’emparer d’une inscription engagée dans le cénotaphe du prophète surexcitèrent à tel point le fanatisme religieux, que les nomades, affolés, tuèrent les serviteurs de la mission. Sir Kennet Loftus dut battre en retraite.

Il quittait Suse, que le choléra éclatait à Dizfoul. Cette épidémie, attribuée à la vengeance du prophète irrité de la présence des infidèles, mit le comble à l’horreur que le nom chrétien inspire aux musulmans de l’Arabistan.

Depuis cette époque nul européen, si ce n’est mon mari et moi, n’a séjourné auprès du tombeau de Daniel.

En 1882, nous parcourûmes la Susiane, seuls, sans argent, sans bagages. Combien la situation est différente et plus délicate aujourd’hui !

La mission, gênée par un volumineux convoi, composée d’un personnel bien restreint, mais capable cependant de porter ombrage aux esprits soupçonneux, sera sans cesse aux prises avec les traverses de la vie sédentaire. Pourra-t-elle les vaincre ? Nos amis de Bouchyr ne semblent pas l’espérer. Les dangers que Loftus courut à Suse, les difficultés qu’il ne parvint pas à surmonter, malgré ses attaches diplomatiques, ne sont pas encore oubliés. Chacun nous a dit adieu avec une mine contrite, de mauvais augure.

7 février. — Ce matin, le steamer stoppait devant Felieh. Comme la mission s’apprêtait à débarquer, Cheikh M’sel montait à bord. Il venait recevoir le consul d’Angleterre et sa femme, qui devaient chasser le lion en sa compagnie et apporter comme appât leur bébé, une mignonne fillette de six mois. Le départ a été retardé de quelques jours : l’enfant n’était pas assez gras.

Le cheikh nous accueille avec amabilité et paraît avoir oublié les ennuis que nous valurent sa chaloupe détraquée et son personnel insoumis. Prenant les devants, il nous introduit lui-même dans cette demeure de Felieh jadis tout imprégnée de l’âpre odeur des combats. Les serviteurs présentent toujours le café, le fusil en bandoulière et le poignard à la ceinture, mais le cheikh et son entourage ont la figure heureuse et reposée.

Je m’informe de Torkan Khanoum et de sa panthère.

« Elles ne sont plus ici. »

Insister serait malséant. L’andéroun, auquel j’ai rendu visite dès le soir même,