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À SUSE.

de quelques arbres, le campement de Salounieh, les palmiers de Sabah, auprès desquels nous amena jadis la chaloupe poussive de Cheikh M’sel, palmiers que l’on aperçoit plusieurs heures avant de les atteindre et qui paraissent changer sans cesse de position, tant le cours du fleuve est sinueux. Nous passons devant le petit village d’Ismaïliah. À partir de ce point, la plaine apparaît verte, tapissée d’immenses champs de blé, appartenant tous au châtelain de Felieh, le marquis de Carabas de la région.

Voisines du fleuve, se dressent les tentes brunes des nomades. Dans les champs paissent d’innombrables troupeaux de chameaux, de moutons et de vaches qui traînent avec peine leur ventre arrondi. Les tamaris deviennent plus beaux, les konars chargés de baies rouges tachent la plaine de leur grosse boule de feuillage sombre. Au bord de l’eau viennent des femmes vêtues de chemises rouges, la tête et la taille couvertes d’un aba indigo, le crâne entouré d’un turban brun. Toutes portent leurs cheveux coupés en frange sur le front, tressés sur les tempes ; des boutons de métal ou des anneaux d’argent sont enfilés dans les narines. Elles ne paraissent pas sauvages et nous laissent regarder, sans témoigner de mécontentement, leurs traits largement découpés.

À la nuit tombante, le marcab (bateau à vapeur) atteint le barrage d’Ahwaz, bâti sur un affleurement rocheux. Le vapeur ne saurait franchir cet obstacle. Nous débarquons et prenons le chemin du village. Le calme et le silence sont complets ; à peine les échos des montagnes répondent-ils aux appels de quelques bergers attardés.

Des ruines, tristes débris de monuments hypostyles, d’antiques tombeaux creusés dans le roc, un cimetière arabe, le barrage et les amorces de canaux desséchés attestent seuls la grandeur évanouie de l’ancienne Aginis.

12 février. — Nous avons troqué les bateaux contre la caravane. Il était temps : je me momifiais à ce régime maritime. Avant-hier la mission atteignait Waïs, et le lendemain le confluent de l’Ab-Dizfoul, du Karoun et de l’Ab-Gargar, une de ses dérivations. Sur la rive droite apparaissait le village de Bend-Akhil, ainsi nommé d’une digue, aujourd’hui disparue, qui aurait jadis été maçonnée avec du bitume. Un fleuve à franchir sans pont ! quoi d’extraordinaire ? Le contraire me surprendrait. Cependant les guides, joignant les mains en forme de portevoix, hèlent les habitants du bourg, et bientôt un belem caché dans un repli du rivage s’approche de nous.

C’est un étrange spectacle que le passage d’une eau profonde par une nombreuse caravane.

La pluie tombait depuis le matin. Avant d’atteindre la rivière, nous avions barboté à qui mieux mieux dans un marais fangeux. Dès que les charges