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CHOUSTER.

avec une vivacité que je n’aurais pas attendue d’animaux aussi lourds ; nous nous sommes lancés à leur poursuite de toute la vitesse de nos montures, mais, après deux heures de course folle à travers les tamaris, les fugitifs nous ont amenés devant les berges d’un canal impossible à franchir. Au delà de cet obstacle ils ont nargué nos balles.

14 février. — La chasse avait retardé la marche du convoi ; le soleil se couchait qu’on n’avait pas aperçu Chouster. Nous avons attendu le jour chez des nomades ; l’aurore nous trouvait en selle. À midi la caravane atteignait l’imam-zadé Neïzan, bâti dans les faubourgs de la ville ; une demi-heure plus tard, elle passait devant un tombeau de saint adossé aux premières maisons. L’état de ruine et de misère dans lequel je laissai Chouster lorsque je quittai l’Arabistan a singulièrement empiré. Certains quartiers s’effondrent au point que les rues sont impraticables. Seuls êtres vivants dans cette cité déserte, des cigognes nichent sur le faîte des badguirs (preneurs de vent) qui dominent les terrasses transformées, depuis les dernières pluies, en verdoyantes prairies.

Notre logis était préparé chez le seïd Assadoullah Khan, promu récemment aux fonctions de gouverneur de la ville. Le hakem ou satrape chargé de l’administration des provinces du Loristan, de l’Arabistan et de la Susiane habite encore Dizfoul ; il ne tardera pas, assure-t-on, à venir prendre possession de sa résidence d’hiver, située dans la citadelle. Marcel a l’intention de rejoindre ce grand dignitaire avant qu’il s’éloigne du voisinage de Suse ; mais il importe d’abord de remettre au représentant de la noblesse religieuse de précieuses recommandations.

15 février. — J’ai été reçue ce matin dans l’andéroun de notre hôte, Mirza Assadoullah Khan. Le digne homme est nanti d’un nombre respectable de femmes : épouses, filles, sœurs, belles-sœurs et servantes, réunies dans une immense maison divisée en compartiments multiples.

Ces dames me connaissent déjà et m’accablent de compliments. Toutes se groupent au pied d’une chaire de bois sur laquelle on m’invite à me jucher. Vieilles et jeunes me considèrent sans jalousie comme un être supérieur, capable d’interroger l’avenir, de guérir les malades, d’exorciser le diable. Il est bien malheureux, assurent-elles, que je ne sois pas musulmane ; je serais parfaite selon leur cœur. Très flattée.

L’affaiblissement de la race, la stérilité des femmes et la petite vérole, terrible aux enfants en bas âge, font le malheur des Chousteris. La population décroît chaque année ; sur douze femmes assises autour de moi, quatre n’ont jamais eu d’enfant, six autres les ont perdus, deux seulement donnent à cette sainte tribu cinq rejetons plus ou moins malingres.