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À SUSE.

souffle à voix basse : « Le lion ! » Sliman, dont la grosse lèvre s’appesantit chaque jour, confirme, tremblant, les dires de son compère. Sur-le-champ nous glissons des cartouches dans les carabines, et, avec plus de prudence que nous n’en avions mis à poursuivre les sangliers, nous courons tous quatre vers une bête jaune qui trottine à travers les arbrisseaux poussés au bord de la rivière. À notre approche l’animal change d’allure. C’est un gros chacal, chaudement habillé de sa fourrure d’hiver. Quatre éclats de rire saluent cette belle découverte, et nous revenons sur nos pas.

Que de tragiques histoires de chasse n’ont souvent pas une origine plus sérieuse !

Mçaoud prend mal la gaieté de ses chefs : « Oui, c’est un lion ! Quand j’ai prononcé son nom (sba), il m’a regardé de travers. Vous le traitez de chacal…, parce que vous n’avez pas osé le tirer ! Je ne veux plus affronter de semblables périls sans avoir des balles à mettre dans le fusil qui me brise le dos ! Sinon, je retourne en Algérie.

— À ton aise ; tu prendras le premier train qui se dirigera vers Mexico. »

Dès la tombée de la nuit les muletiers s’égarent ; ils nous promènent sous la pluie et finissent par me demander des allumettes.

« Qu’en voulez-vous faire ?

— À leur clarté, nous retrouverons peut-être le sentier perdu. »

Cependant nous passons au pied d’un énorme jujubier chargé de guenilles en guise d’ex-voto.

« Nous voici sur la bonne route, s’écrie l’un des guides, je reconnais cet arbre béni ; mais la distance à parcourir avant d’atteindre le gîte est encore longue. Au lieu d’errer par un temps pareil, il serait plus sage de planter les tentes. »

De fait, la nuit est assez sombre pour qu’on puisse confondre Sliman avec un brave à trois poils.

Comme nous discutions la proposition des muletiers, la pluie cesse, un vent violent déchire les nuages ; à l’horizon vibrent des éclairs diffus, un terrible orage se déclare, la foudre se promène en zigzags lumineux, le tonnerre gronde sur nos têtes. Tout à coup apparaît, dans un nimbe éblouissant, une colossale masse brune : elle s’évanouit avec les fulgurantes illuminations qui ont révélé sa présence.

« Chouch ! Chouch ! ».

C’est bien la forteresse de Suse : elle accueille ses nouveaux maîtres en fille des dieux, et emprunte à Jupiter ses torches et sa grande voix pour nous souhaiter la bienvenue. L’orage se déploie sur la droite, les augures sont favorables.

« Allah ne veut pas que nous dormions loin du tombeau de son serviteur », assurent les guides. Nous pressons le pas, les uns ragaillardis à la pensée de passer sous un toit une nuit si humide, les autres tout heureux d’avoir atteint le terme d’un long et