Page:Swift - Gulliver, traduction Desfontaines, 1832.djvu/132

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pris plusieurs de leurs mots ; qu’il marchait droit sur les deux pieds, était doux et traitable, venait quand il était appelé, faisait tout ce qu’on lui ordonnait de faire, avait les membres délicats et un teint plus blanc et plus fin que celui de la fille d’un seigneur à l’âge de trois ans. Un laboureur voisin, et intime ami de mon maître, lui rendit visite exprès pour examiner la vérité du bruit qui s’était répandu. On me fit venir aussitôt ; on me mit sur une table, où je marchai comme on me l’ordonna. Je tirai mon sabre et le remis dans son fourreau ; je fis la révérence à l’ami de mon maître ; je lui demandai, dans sa propre langue comment il se portait, et lui dis qu’il était le bien venu, le tout suivant les instructions de ma petite maîtresse. Cet homme, à qui le grand âge avait fort affaibli la vue, mit ses lunettes pour me regarder mieux ; sur quoi je ne pus m’empêcher d’éclater de rire. Les gens de la famille, qui découvrirent la cause de ma gaîté, se prirent à rire ; de quoi le vieux penard fut assez bête pour se fâcher. Il avait l’air d’un avare, et il le fit bien paraître par le conseil détestable qu’il donna à mon maître de me faire voir pour de l’argent, à quelque jour de marché, dans la ville prochaine, qui était éloignée de notre maison environ de vingt-deux milles. Je devinai