Page:Swift - Gulliver, traduction Desfontaines, 1832.djvu/173

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la rage, la folie, la haine, l’envie, la malice et l’ambition pouvaient produire.

Sa majesté, dans une autre audience, prit la peine de récapituler la substance de tout ce que j’avais dit, compara les questions qu’elle m’avait faites avec les réponses que j’avais données ; puis, me prenant dans ses mains et me flattant doucement, s’exprima dans ces mots que je n’oublierai jamais, non plus que la manière dont il les prononça : Mon petit ami Grildrig, vous avez fait un panégyrique très-extraordinaire de votre pays : vous avez fort bien prouvé que l’ignorance, la paresse et le vice, peuvent être quelquefois les seules qualités d’un homme d’État ; que les lois sont éclaircies, interprétées et appliquées le mieux du monde par des gens dont les intérêts et la capacité les portent à les corrompre, à les brouiller et à les éluder. Je remarque parmi vous une constitution de gouvernement qui, dans son origine, a peut-être été supportable, mais que le vice a tout-à-fait défigurée. Il ne me paraît pas même, par tout ce que vous m’avez dit, qu’une seule vertu soit requise pour parvenir à aucun rang ou à aucune charge parmi vous. Je vois que les hommes n’y sont point anoblis par leur vertu ; que les prêtres n’y sont point avancés par leur piété ou leur science, les soldats par leur conduite ou