Page:Swift - Gulliver, traduction Desfontaines, 1832.djvu/284

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l’immortalité, j’avais aussi quelquefois médité sur la conduite que je tiendrais si j’avais à vivre éternellement ; et que, puisqu’on le voulait, j’allais sur cela donner l’essor à mon imagination.

Je dis donc que, si j’avais eu l’avantage de naître struldbrugg, aussitôt que j’aurais pu connaître mon bonheur, et savoir la différence qu’il y a entre la vie et la mort, j’aurais d’abord mis tout en œuvre pour devenir riche ; et qu’à force d’être intrigant, souple et rampant, j’aurais pu espérer me voir un peu à mon aise au bout de deux cents ans ; qu’en second lieu, je me fusse appliqué si sérieusement à l’étude dès mes premières années, que j’aurais pu me flatter de devenir un jour le plus savant homme de l’univers ; que j’aurais remarqué avec soin tous les grands événemens ; que j’aurais observé avec attention tous les princes et tous les ministres d’État qui se succèdent les uns aux autres, et aurais eu le plaisir de comparer tous leurs caractères, et de faire sur ce sujet les plus belles réflexions du monde ; que j’aurais tracé un mémoire fidèle et exact de toutes les révolutions de la mode et du langage, et des changements arrivés aux coutumes, aux lois, aux mœurs, aux plaisirs même ; que, par cette étude et ces observations, je serais devenu à la fin un magasin d’antiquités, un registre vivant, un trésor