Page:Swift - Gulliver, traduction Desfontaines, 1832.djvu/334

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ques, il serait sur-le-champ renversé, foulé, écrasé, brisé. Je lui répondis que nos Houyhnhnms étaient ordinairement domptés et dressés à l’âge de trois ou quatre ans, et que, si quelqu’un d’eux était indocile, rebelle et rétif, on l’occupait à tirer des charrettes, à labourer la terre, et qu’on l’accablait de coups ; que les mâles destinés à porter la selle ou à tirer des carrosses étaient ordinairement coupés deux ans après leur naissance, pour les rendre plus doux et plus dociles ; qu’ils étaient sensibles aux récompenses et aux châtimens, et que pourtant ils étaient dépourvus de raison, ainsi que les yahous de son pays.

J’eus beaucoup de peine à faire entendre tout cela à mon maître, et il me fallut user de beaucoup de circonlocutions pour exprimer mes idées, parce que la langue des Houyhnhnms n’est pas riche, et que, comme ils ont peu de passions, ils ont aussi peu de termes, car ce sont les passions multipliées et subtilisées qui forment la richesse, la variété et la délicatesse d’une langue.

Il est impossible de représenter l’impression que mon discours fit sur l’esprit de mon maître, et le noble, courroux dont il fut saisi lorsque je lui eus exposé la manière dont nous traitons les Houyhnhnms, et particulièrement notre usage de les couper pour les rendre plus dociles et