Page:Swift - Gulliver, traduction Desfontaines, 1832.djvu/373

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ce pays-là, le lecteur attend de moi sans doute qu’à l’exemple de tous les autres voyageurs je fasse un ample récit des habitans de ce pays, c’est-à-dire des Houyhnhnms, et que j’expose en détail leurs usages, leurs mœurs, leurs maximes, leurs manières. C’est aussi ce que je vais tâcher de faire, mais en peu de mots.

Comme les Houyhnhnms, qui sont les maîtres et les animaux dominants dans cette contrée, sont tous nés avec une grande inclination pour la vertu, et n’ont pas même l’idée du mal par rapport à une créature raisonnable, leur principale maxime est de cultiver et de perfectionner leur raison et de la prendre pour guide dans toutes leurs actions. Chez eux, la raison ne produit point de problèmes comme parmi nous, et ne forme point d’argumens également vraisemblables pour et contre. Ils ne savent ce que c’est que mettre tout en question, et défendre des sentimens absurdes et des maximes malhonnêtes et pernicieuses à la faveur de la probabilité. Tout ce qu’ils disent porte la conviction dans l’esprit, parce qu’ils n’avancent rien d’obscur, rien de douteux, rien qui soit déguisé ou défiguré par les passions et par l’intérêt. Je me souviens que j’eus beaucoup de peine à faire comprendre à mon maître ce que j’entendais par le mot d’opinion, et comment il