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DU TONNEAU.

ſe ſoumettoit avec reſignation à ſon malheur, comme à un effet de la Deſtinée, avec laquelle il ſavoit par experience, qu’il n’étoit pas ſûr de luter ; puiſque ceux, qui s’y hazardoient, étoient bienheureux de n’y gagner, qu’un nez ſanglant, & un œil poché au beure noir[1].

Il a été ordonné, quelques jours avant la Création, diſoit-il, que mon nez & ce poteau auroient une rencontre enſemble : &, pour cet effet, la Providence nous a envoïez au Monde l’un & l’autre dans le même âge, pour être compatriottes & concitoïens. Or, ſi j’avois tenu mes yeux ouverts, le malheur auroit été bien plus grand, ſelon toutes les apparences ; car,

  1. Toutes les perſonnes, qui admettent la Prédeſtination dans toute ſa rigueur, n’en tirent pas des Conſequences également impertinentes. Il y en a qui croïent, que les Décrets de Dieu ne doivent pas nous empêcher d’agir en Etres raiſonnables, & de nous déterminer vers le parti, qui nous paroit le meilleur ; mais, d’autres abjurent entierement l’excellence de leur Nature, & s’imaginent, qu’il y a de la Vertu, & de la Sageſſe, à ſe conduire en ſimples Machines, & à ſe liever d’une manicre purement paſſive à l’Action de la Divinité.