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DU TONNEAU.

accident n’encourage pas les hommes de ce ſiécle, ni leur poſterité, de donner leur nez à garder à leurs yeux : c’eſt le vrai moïen de le perdre une fois pour toutes. O vous, foibles yeux, ô vous aveugles Guides de nos corps aveugles, que vous êtes de pauvres Gardiens de nos nez fragiles ; vous, dis-je, qui vous fixez ſur le premier précipice que vous trouvez en chemin ; qui tirez enſuite après vous nos miſerables corps trop promts à vous obéir, juſques ſur le bord même de la deſtruction : mais, ce bord eſt d’un bois pourri, le pied nous gliſſe, & nous ſommes précipitez dans le goufre, ſans rencontrer le moindre arbriſſeau officieux, qui puiſſe rompre le coup. Chute afreuſe ! laquelle aucun nez de fabrique mortelle n’eſt capable de reſiſter, excepté celui du Geant Laurcalco qui étoit Seigneur du Pont d’Argent[1]. Ainſi donc, Ô vous foibles yeux, avec grande raiſon vous peut-on comparer à ces feux follets, qui conduiſent l’homme à travers l’ordure les tenebres, pour le faire tomber dans un puits profond, ou dans un goufre empoiſonné.

Voilà un échantillon de l’éloquence

  1. Voyez Don Quichotte.