Page:Swift - Opuscules humoristiques - Wailly - 1859.djvu/114

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

font jamais la part d’une passion innocente ; qu’il y a quantité de beaux et charmants jeunes gens dans la ville, qui seraient ravis de mourir à ses pieds ; que la conversation de deux amoureux, c’est le ciel sur la terre ; que l’amour, comme la mort, égalise toutes les conditions ; que si elle jetait les yeux sur un jeune homme au-dessous d’elle comme naissance et comme biens, le don de sa main ferait de lui un gentleman ; que vous avez vu hier sur le Mail le plus joli enseigne, et que si vous aviez quarante mille livres, elles seraient à son service. Ayez soin que chacun sache auprès de qui vous vivez ; quelle grande favorite vous êtes, et qu’on prend toujours votre avis. Allez souvent au parc de Saint-James ; les beaux garçons vous y découvriront bientôt et trouveront moyen de glisser une lettre dans votre manche ou dans votre sein : ôtez-la avec fureur et jetez-la par terre, à moins que vous n’y trouviez au moins deux guinées ; mais en ce cas, ayez l’air de ne pas les voir et de penser qu’on a voulu seulement badiner avec vous ; quand vous rentrez, laissez négligemment tomber la lettre dans la chambre de votre maîtresse ; elle la trouve ; elle se fâche : protestez que vous n’en saviez rien ; seulement vous vous souvenez qu’un monsieur, dans le parc, a taché de vous prendre un baiser, et vous croyez que c’est lui qui aura mis la lettre dans votre manche ou dans votre corsage, et vraiment c’était un aussi joli homme que vous en ayez jamais vu ; après cela, elle peut brûler la lettre si elle veut.