Page:Swift - Opuscules humoristiques - Wailly - 1859.djvu/128

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En premier lieu, je ne suis pas convaincu qu’il soit du tout nécessaire, pour un poète moderne, de croire en Dieu, ou d’avoir aucun sentiment sérieux de religion, et sur cet article vous me permettrez de suspecter votre capacité ; parce que la religion étant ce que votre mère vous a enseigné, il ne vous sera guère possible de surmonter tout d’un coup ces préjugés d’enfance, au point de croire qu’il vaille mieux être un bel esprit qu’un bon chrétien, quoique en cela la pratique générale soit contre vous ; de façon que si, après examen, vous trouvez en vous de telles faiblesses, dues à la nature de votre éducation, mon avis est que vous laissiez là aussitôt votre plume, comme n’ayant plus rien à faire avec elle en fait de poésie ; à moins de vous résigner à passer pour un insipide, ou de consentir à être hué par vos confrères, ou de pouvoir déguiser votre religion, comme les hommes bien élevés déguisent leur savoir, par complaisance pour la compagnie.

Car la poésie, telle qu’elle est traitée depuis quelques années par ceux qui en font métier (et je ne parle que de ceux-ci, n’appelant pas poète celui qui écrit pour son plaisir, pas plus que je n’appelle un violon celui qui s’amuse à jouer de cet instrument), notre poésie, dis-je, s’est, dans ces derniers temps, tout à fait dégagée des étroites idées de vertu et de piété, parce qu’il a été reconnu par nos professeurs, que la plus petite dose de religion, comme une seule goutte de bière dans du claret,