Page:Swift - Opuscules humoristiques - Wailly - 1859.djvu/201

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ne puis nier que si on tirait le même parti de plusieurs dodues jeunes filles de cette ville, qui, sans un sou de fortune, ne peuvent sortir qu’en chaise à porteurs, et se montrent à la comédie et aux assemblées dans des toilettes venues de l’étranger et qu’elles ne payeront jamais, le royaume ne s’en trouverait pas plus mal.

Quelques personnes portées au découragement sont fort inquiètes de ce grand nombre de pauvres gens, qui sont âgés, malades ou estropiés, et j’ai été prié de chercher dans ma tête ce que l’on pourrait faire pour soulager la nation d’une si lourde charge. Mais je ne suis pas le moins du monde embarrassé à ce sujet, car il est bien connu qu’ils meurent et pourrissent chaque jour de froid et de

    fait allusion dans le texte : « Nous mangeons aussi la chair humaine, ce qui, j’en suis convaincu maintenant, est une coutume barbare, quoique nous ne la pratiquions que sur nos ennemis déclarés, tués ou pris sur le champ de bataille, ou bien sur les malfaiteurs légalement exécutés. La chair de ceux-ci est notre plus grande friandise, et quatre fois plus chère que la viande la plus rare et la plus délicieuse. Nous l’achetons de l’exécuteur, car les corps de tous les condamnés à la peine capitale sont ses profits. Aussitôt que le criminel est mort, il coupe son corps en morceaux, en exprime le sang et fait de sa maison un étal pour la chair d’homme et de femme, où viennent acheter tous ceux qui en ont le moyen. Je me souviens qu’il y a une dizaine d’années, une grande, fraîche, jolie et grasse jeune fille d’environ dix-neuf ans, dame d’atours de la reine, fut reconnue coupable de haute trahison, pour avoir voulu empoisonner le roi ; en conséquence, elle fut condamnée à subir la plus cruelle mort qu’on pourrait inventer, et sa sentence fut d’être mise en croix et tenue vivante aussi longtemps que possible. La sentence fut mise à exécution ; lorsqu’elle s’évanouissait de douleur, le bourreau lui donnait des liqueurs fortes, etc., pour la ranimer. Le sixième jour elle mourut. Ses longues souffrances, sa jeunesse et sa bonne constitution rendirent sa chair si tendre, si délicieuse et d’un tel prix, que l’exécuteur la vendit pour plus de huit tailles, car il y avait une telle presse à ce marché inhumain, que des gens du grand monde s’estimaient heureux s’ils parvenaient à en acheter une ou deux livres. » Londres, 1705, p. 112.