Page:Swift - Opuscules humoristiques - Wailly - 1859.djvu/234

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lui me dirent qu’il avait eu quelque temps le délire ; mais lorsque je le vis il avait sa tête autant que je la lui ai jamais vue, et parlait avec force, sans avoir l’air d’éprouver ni malaise, ni empêchement. Après lui avoir témoigné combien j’étais fâché de le voir dans cette triste situation et lui avoir dit quelques autres civilités en rapport avec la circonstance, je le priai de m’avouer franchement et ingénuement si les prédictions que M. Bickerstaff avait publiées au sujet de sa mort n’avaient pas trop affecté et frappé son imagination. Il convint qu’il les avait eues souvent en tête, mais jamais avec de grandes appréhensions ; mais que depuis une quinzaine de jours, elles n’avaient cessé d’assiéger son esprit, et qu’il croyait en vérité qu’elles étaient la véritable cause de sa présente maladie ; « car, dit-il, je suis intimement persuadé, et pour de très-bonnes raisons, je crois, que M. Bickerstaff a parlé tout à fait au hasard, et ne savait pas plus ce qui arriverait cette année que je ne le savais moi-même. »

Je lui dis que son discours me surprenait, et que je serais charmé qu’il fût dans un état de santé qui lui permît de m’apprendre la raison qu’il avait d’être convaincu de l’ignorance de M. Bickerstaff. Il répondit : « Je suis un pauvre ignorant qui n’a appris qu’un piètre métier ; cependant j’ai assez de bon sens pour savoir que toutes ces prétentions à prédire par l’astrologie sont des leurres, pour cette raison manifeste, que les gens sages et instruits