Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 1, 1748.djvu/255

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donne à les suivre une peine inutile,
Entrant dans un carrosse elles gagnent la ville,
Ou pendant quelque jour il tâche à découvrir [575]
Quel est ce cher Objet qu'il a su secourir.
Cependant un Ami, marié par promesse,
L'engage d'aller voir avec lui sa Maîtresse ;
Mais quel sensible coup à son coeur enflammé,
Lorsqu'en elle il connaît l'Objet qui l'a charmé, [580]
Qu'il voit un autre heureux, et qu'enfin on s'apprête
À l'enrichir bientôt de sa propre conquête !
Il soupire, il lui parle, et devant son Rival,
Sans qu'il s'en aperçoive, il lui conte son mal.
Elle en paraît surprise, il l'attendrit sans doute, [585]
Avec émotion il voit qu'elle l'écoute,
Mais sa seule espérance est dans le désespoir,
Puisqu'elle s'abandonne à son triste devoir.
Au récit du malheur dont le destin l'accable.
Jugez s'il fut jamais amant plus déplorable. [590]

ISABELLE.

Je plains fort l'un et l'autre, et doute qui des deux
En ce triste rencontre est le plus malheureux.
Un bienfait peut beaucoup sur un noble courage,
Peignant un grand mérite en secret il engage,
C'est un fidèle agent qui parle nuit et jour, [595]
Dans la reconnaissance il entre un peu d'amour,
Sa flamme sous ce masque aisément se déguise,
L'on court même au-devant de sa douce surprise ;
Tant il est difficile, après un tel bonheur,
De donner son estime, et de garder son coeur. [600]
De cette Dame ainsi le malheur est extrême,
Car enfin elle perd ce que sans doute elle aime,
Et pour comble de maux, dans son affliction
On la livre à l'objet de son aversion.

DON ALVAR.
.

Que dites-vous, Madame  ? Ah, s'il osait le croire, [605]
Qu'en un si grand malheur il trouverait de gloire !
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