Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 1, 1748.djvu/338

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Et que vous débitez les plus douces fleurettes
Pour mieux peindre des maux qu’à plaisir vous vous faites,
Je n’en murmure point, et je vois sans courroux,
Du moins si vous mentez, que vous mentiez pour vous ;
Mais qu’un foible intérêt l’emportant sur le vôtre
Vous fasse encor résoudre à mentir pour un autre,
Comme si c’étoit peu, pour vous de vos péchés…
Car enfin savez-vous les sentiments cachés.
S’il est amant, peut-être est-ce à dessein de rire,
Et vous irez jurer qu’il languit, qu’il soupire ?

Oronte

J’ai pu m’en exempter, il m’étoit fort aisé,
Et tout autre qu’Éraste eût été refusé ;
Mais si ce même Éraste est frère de Lucie,
L’une des trois Beautés dont mon âme est ravie,
Et si par un effet de son heureux destin
De Dorotée encore il est proche Voisin,
Puis-je rien refuser à qui m’est nécessaire,
Tantôt comme voisin, et tantôt comme frère.

Cliton

C’est prévoir de bonne heure à tout, et d’assez loin.

Oronte

Il n’est si sot Ami qu’on n’emploie au besoin,
De ma facilité c’est la raison secrète.
Mais il faut voir enfin de quel air on le traite.

Cliton

Peut-être s’en rit-on.

Oronte

C’est comme je l’entends,
Ou s’il est régalé, que c’est à ses dépens.

Il lit.

Pour prix de votre amour que vous peignez extrême,
Éraste, vous osez me demandez le mien ;
Quelquefois par bonté j’endure que l’on m’aime,
Mais je prétends aussi qu’il ne m’en coûte rien.
Vous donner cœur pour cœur…