Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 2, 1748.djvu/219

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Songez depuis un siècle à quel excès d’horreur
De vos dissensions a monté la fureur,
Et ce que peut encor dans sa rage secrète
Cette même fureur, à moins qu’on ne l’arrête.
Vous le pouvez, Madame, et revoir votre État
Par la paix qu’on vous offre en son premier éclat ;
On vous en sollicite, et vous aurez la gloire,
Qui dans tout l’avenir suivra votre mémoire,
D’avoir, malgré l’orgueil qui régloit leurs projets,
Réduit vos ennemis à demander la paix.

CRESPHONTE.

Ainsi notre vertu lâchement endormie
De cette indigne paix souffriroit l’infamie,
Et la reine étouffant un trop juste courroux
Vendroit pour l’acheter le sang de son époux ?
De la mort du feu Roi Démochare coupable
En rend toute la Crète aujourd’hui responsable,
Et nous justifierions nous-même cette mort
Si de ses meurtriers nous recevions l’accord.

CLÉOMÈNE.

Seigneur, de ce soupçon qui souille sa mémoire
La honte rejaillit sur votre propre gloire,
Et vous ne songez pas qu’il expose au mépris
Ce rare privilège où vous êtes compris.
Ceux que dans votre rang, comme dieux de la terre,
Le ciel qui les forma n’a soumis qu’au tonnerre,
Par un ordre éternel sont en quelque façon,
Comme indignes du crime, au-dessus du soupçon,
Et ternir leur vertu par un sombre nuage
C’est offenser les dieux dans leur plus noble image.
Si j’ose toutefois, pour décider ce point,
Donner à Démochare un juge qu’il n’a point,
Pour lever à la paix l’obstacle qui s’oppose,
Voyons de cette mort s’il pût être la cause.
Le feu roi votre époux attaquant son État
Blessé mortellement fut pris dans un combat,
Et quoi qu’en ait osé publier l’imposture,
S’il mourut prisonnier, ce fut d’une blessure.