Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 2, 1748.djvu/226

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Que proposant ma mort, sans y prendre intérêt,
Ce lâche Cléomène en ait donné l’arrêt ?

CLÉONE.

Ce discours me surprend. Apprends d’une princesse,
Apprends la criminelle et honteuse foiblesse,
Et sachant ce qu’encor tu n’oses deviner,
Il sera juste alors, commence à t’étonner.
Si les princes n’ont pu dans l’espoir qui les flatte
Souffrir aucun accord avecque Timocrate,
Ce rare et grand conseil qui lui donnoit ma foi,
Le croiras-tu parti d’un cœur qui fut à moi ?
Car enfin je l’aimai, cet ingrat Cléomène !
Mais qu’inutilement j’ose flatter ma peine,
Si malgré mon courroux par son crime enflammé
Je sens que j’aime encor, quand je dis que j’aimai !
Hélas ! Lorsqu’à mes pieds avec de fausses larmes
Le traître à mon orgueil faisoit rendre les armes,
Ce spécieux dehors d’un immuable amour
Cachoit la trahison qu’il vient de mettre au jour.

CLÉONE.

Elle n’a point d’égale, et pour moi je veux croire,
Pour amoindrir son crime et sauver votre gloire,
Que ses feux dans l’abord peut-être mal reçus,
Perdirent tout espoir de vaincre vos refus.

ERIPHILE.

Encor qu’une princesse ait cela d’elle-même,
De ne pas s’abaisser jusqu’à dire qu’elle aime,
Et que ce rang illustre, au milieu de ses feux,
Défende sa vertu d’un terme si honteux,
Quelque empire qu’elle ait sur son âme enflammée,
N’est-ce pas l’avouer que souffrir d’être aimée ?
Je l’ai souffert, Cléone, et tu tâches en vain,
Lorsque je sens le coup, de me cacher la main :
Il me vient d’un ingrat, il me vient d’un parjure,
Et j’ai bien mérité le tourment que j’endure.