Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 2, 1748.djvu/236

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ERIPHILE.

Au moins si tu me crois le courage si bas,
Que les seules grandeurs aient pour moi des appas,
Ces princes, dont l’amour vient servir notre haine,
Pouvoient par leur hymen me faire deux fois reine,
Et préférer au leur celui d’un ennemi,
Ce n’est que te montrer généreux à demi.

CLÉOMÈNE.

Hélas ! Vous plaignez-vous de cette préférence,
Quand ils n’ont rien en eux par-delà la naissance,
Rien dont un bon courage ait lieu d’être jaloux,
Hors l’illustre projet de soupirer pour vous ?
Ayant à succomber sous un revers insigne,
Ma flamme a cru devoir ne céder qu’au plus digne,
Et je laisse, madame, à juger qui des trois
A fait parler pour lui de plus nobles exploits.

ERIPHILE.

Souvent la renommée est mal instruite, ou flatte,
Et quoi qu’elle ait osé nous vanter Timocrate,
La vertu qui produit les exploits les plus grands
Est celle quelquefois qu’on punit aux tyrans ;
Et c’est avec raison ce qu’en lui je soupçonne,
Si je veux m’arrêter aux marques qu’il en donne.

CLÉOMÈNE.

Aussi ne croyez pas que mon juste courroux
Ait vu sans s’indigner qu’il armât contre vous.
Pour savoir ses desseins, en prévenir la suite,
D’un zèle impatient je choisis la conduite,
Et quoi qu’un ordre exprès, connu dans chaque port,
De Crète aux étrangers eut défendu l’abord,
Je passois dans sa cour plein de cette vengeance,
Que de ma passion pressoit la violence.
Mais hélas ! Eus-je lieu de la précipiter,
Quand j’appris qu’il n’armoit que pour vous mériter,
Et qu’une ardeur si belle échauffant son courage,
Je devois dans son cœur respecter votre image ?