Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 2, 1748.djvu/237

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J’avouerai plus encor, dussai-je me trahir :
Tout mon rival qu’il est, j’ai peine à le haïr,
Car comme enfin de soi le mérite est aimable,
Si quelque chose en moi vous paroît estimable,
Si ce zèle en mon cœur par la gloire produit
De quelque grandeur d’âme a mérité le bruit,
Il la possède toute, avec cet avantage
Qu’assis dedans un trône où brille son courage,
De ce premier éclat ses exploits revêtus
Donnent un double prix à ses moindres vertus.

ERIPHILE.

Et bien, sans respecter ton amour ni ta gloire,
Fais pour ce cher rival ce qu’on n’eut osé croire,
Et puisqu’en ta louange il trouve un foible appui,
Contre toi, contre moi, va combattre pour lui :
Tu me verras constante et fidèle en ma haine
Avouer hautement les serments de la reine,
Encourager moi-même à mériter ma foi
Ceux que jusques ici j’ai dédaignez pour toi,
Et par un noble orgueil que la gloire autorise,
De ma main à tes yeux récompenser sa prise.
Quel triomphe de voir son sort précipité,
Confondant son orgueil, punir ta lâcheté,
Et dresser par l’éclat d’une seule victoire,
De ton ingratitude un trophée à ma gloire !

CLÉOMÈNE.

Cessez de soupçonner de sentiments ingrats
Ce cœur qu’un rival touche et ne partage pas !
Puisque vous le voulez, sa perte est assurée,
Il ne peut l’éviter quand vous l’avez jurée ;
J’y cours, et si pour lui mon zèle officieux
A tâché d’étaler son mérite à vos yeux,
Rendant à sa vertu ce tribut légitime,
Je ne l’ai regardé que comme une victime,
Que mon amour soumis osant vous destiner
Pour vous l’immoler mieux a voulu couronner.

ERIPHILE.

Non, non, n’embrasse point une vertu contrainte.