Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 2, 1748.djvu/272

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NICANDRE.

Hélas ! Si cet amour avoit de quoi vous plaire,
Vous n’auriez pas un doute à mes vœux si contraire.
Un amant, quoi qu’il fasse à cacher son tourment,
Quand il n’est point haï paroît toujours amant ;
Pour peindre d’un beau feu les ardeurs innocentes,
Ses moindres actions ont des couleurs parlantes,
Dont l’éclat jusqu’au cœur en portent les appas ;
Qui ne les ressent point ne les approuve pas.

ERIPHILE.

Le trouble où tu me vois me laisse peu comprendre
Ce qu’une telle plainte a crû me faire entendre ;
Mais enfin si tes vœux furent jamais pour moi,
Souffre à ton propre honneur de séduire ta foi.
Soit que dans ce héros qu’ose perdre la reine,
Il t’offre Timocrate ou montre Cléomène,
Sans noircir cet honneur d’un reproche fatal,
Tu n’y saurois plus voir ennemi ni rival.
Tous deux à sa défense intéressent ta gloire :
À l’un tu dois la vie, à l’autre une victoire,
Et si tu crains les noms et de lâche et d’ingrat,
Perdras-tu ton vainqueur, et l’appui de l’état ?
Car le pouvoir sauver et souffrir qu’il périsse,
C’est de son mauvais sort te déclarer complice.
Parle, et sans perdre temps à faire le surpris,
Ou refuse, ou reçois mon estime à ce prix.

NICANDRE.

Le ciel sait à quel point cette estime m’est chère,
Mais pour la mériter je sais ce qu’il faut faire,
Et quoi que ce désir ait sur moi de pouvoir,
J’aime toujours Argos et connois mon devoir.

ERIPHILE.

Ah, si tu le connois, songe que Cléomène…

NICANDRE.

Mais, madame, son sort est aux mains de la reine,
Et pour changer l’arrêt qui l’expose à périr,
Ce n’est qu’à sa pitié qu’il vous faut recourir.