Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 2, 1748.djvu/273

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ERIPHILE.

Veux-tu que, violant un serment trop funeste,
Elle attire sur nous la colère céleste ?

NICANDRE.

Et voudriez-vous aussi que pour vous obéir,
Devant tout à l’État, j’osasse le trahir ?

ERIPHILE.

Si son intérêt seul à ce refus t’engage,
Tu manques de lumière à voir son avantage.
Ces murs qu’un triste sort prive de combattants
Ne sont pas en état de résister longtemps,
Déjà de tous côtés l’ennemi nous assiège ;
Et si le sang d’un roi n’a point de privilège,
La mort de Timocrate irritant sa fureur
Fera de tout Argos un théâtre d’horreur.

NICANDRE.

L’on vous donne, Madame, une alarme inutile :
Si l’ennemi par terre ose attaquer la ville,
Quatre mille soldats que je viens de placer
Jusques dans ses vaisseaux sauront le repousser.

ERIPHILE.

Va, lâche, malgré toi je vois ce qui t’anime !
De mon cœur engagé ton amour fait un crime,
Et, ton rival détruit, tu t’oses figurer
Que ton orgueil au trône aura droit d’aspirer !
Mais quand dans son malheur je serois assez lâche
Pour n’oser par mon sang en effacer la tache,
Quel que soit ton espoir, ne crois pas que ma foi
Jamais pour t’y placer s’abaissât jusqu’à toi !
Avant que d’en souffrir la coupable pensée,
Aux plus indignes lois je me verrois forcée,
Et choisirois des fers plutôt que me charger
D’un sceptre qu’avec toi je dûsse partager.

NICANDRE.

Le dessein que mon cœur fit toujours de vous plaire,
M’oblige à respecter jusqu’à votre colère ;
Ma présence l’aigrit, et c’est blesser vos yeux
Que ne leur pas ôter un objet odieux.