Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 2, 1748.djvu/296

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À cette passion bien loin de mettre obstacle,
Moi-même je voudrois en presser le miracle.
Juge de cette ardeur par les soins que j’ai pris
De soumettre à ses vœux l’espoir d’Anaxaris,
Lui qu’avec tant d’éclat sa vertu fait paroître
Que s’il n’est pas né Prince il est digne de l’être,
Et qui dans le haut rang qu’il doit à son grand cœur,
Aurait droit de prétendre à l’hymen de ma soeur.
Comme entre mes Sujets il faut qu’elle choisisse,
En faveur de ton sang je lui fais injustice,
Et pour me satisfaire, il ose abandonner
L’espérance d’un choix qui le peut couronner.

ARAXE

Aussi fait-il bien voir par une plainte ouverte
Que ce fatal hymen est l’arrêt de sa perte,
Et que d’un prix si bas récompenser sa foi,
C’est apprendre aux Sujets à mal servir leur Roi.
Seigneur, quoi qu’entre nous la gloire en fût commune,
Je n’eus jamais dessein d’abaisser sa fortune ;
Mais peut-être qu’un jour nous le verrons témoin
Que qui se croit au trône en est encore bien loin.

ROI

Tu prends mal ce murmure où mon ordre l’engage,
Quand sans l’approfondir tu t’en fais un outrage.
En vain ce faux mépris te l’a rendu suspect,
Sachant l’amour du Prince il lui doit ce respect,
Et pour ne pas l’aigrir, témoigner par sa plainte
Que d’un pouvoir injuste il souffre la contrainte ;
Mais si ta fille enfin plus juste en son espoir
Prenoit les sentiments qu’elle devroit avoir,
Si voyant par mon choix sa fortune certaine
Elle-même y vouloit préparer Philoxène,
Alors Anaxaris feroit voir à son tour
Quel importun respect fait faire son amour.
Use comme tu dois d’un avis si fidèle,
Vois-en sans te flatter l’importance avec elle.
La voici qui s’avance ; adieu, mais souviens-toi
Qu’ici j’agis pour elle en père plus qu’en Roi.