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Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 3, 1748.djvu/33

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Et quand il faut choisir, jeune, galant fleuri,
Adroit, aimable, beau, c’est toujours un mari.
On est bien empêché comme on s’y doit conduire,
Trop de précaution souvent ne fait que nuire ;
En vain pour mieux échoir on y fait cent façons,
Puisque enfin les meilleurs ne sont jamais trop bons.
Sans qu’un semblable choix nous chagrine d’avance,
Il faut jeter les dés au hazard de la chance,
Et dire en risquant tout, puisque enfin on le veut,
Dieu nous la donne bonne, & vienne ce qui peut.

ISABELLE.

C’est en dire un peu trop.

BÉATRIX.

C’est en dire un peu trop.Ce n’est point satire,
Madame, croyez-moi, l’on n’en sauroit trop dire.
Il est de ces rêveurs, il est de ces jaloux,
Qui se font plus de mal qu’ils n’en craignent de nous.
Qu’une femme s’échappe à voir un peu le monde,
Leur chagrin en murmure, & leur dépit en gronde,
Et dans leur rêverie à rendre un esprit fou,
L’on n’est sage jamais si l’on n’est loup-garou.
Pour moi qui ne suis pas d’humeur trop endurante,
Si jamais un mari l’assemblage me tente,
Le contrat d’union, dans mon petit calcul,
Aura plus d’une clause, ou demeurera nul.
Il me sera permis de danser & de rire,
Je verrai mes amis sans qu’il y trouve à dire,
Et saurai le réduire à ne rien redouter
De toutes les douceurs qu’on me viendra conter.

ISABELLE.

Tu crois qu’il tiendra tout ?

BÉATRIX.

Tu crois qu’il tiendra tout ?Et bien, quitte à se battre.
Si j’enrage une fois il enragera quatre ;
Et me mettant au pis, je sais qu’il trouvera
Plus de fâcheux momens qu’il ne m’en donnera.
Après tout, le meilleur est de vivre sans maître.