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Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 3, 1748.djvu/69

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GUZMAN.

Tu t’accoutumeras.Il ne coûte qu’à dire ;
Et, quoiqu’un pauvre cœur soit tout percé de coups,
Pourvû qu’on s’accoûtume, il doit être fort doux ?
Mais en m’accoûtumant, comme j’ai l’ame prompte,
Quand je ne pourrai plus, ce sera pour mon compte.
Cependant de ta part, loin de me soulager,
Tu t’accoûtumeras à me faire enrager.

BÉATRIX.

Tu crois donc qu’à me voir ton repos se hazarde ?

GUZMAN.

Je suis tout palpitant dès que je te regarde ;
Et de mes sens ravis en contemplation,
Mes yeux seuls, près de toi, gardent leur fonction ;
Peu s’en faut que mon cœur n’en soit paralytique.

BÉATRIX.

Pourroit-il craindre un mal que ta langue m’explique ?
Qui le connoît si bien n’est pas pour en mourir ;
Et, si je t’ai blessé, je pourrai te guérir.

GUZMAN.

Si tu connois assez jusqu’où va ma blessure,
Tu n’entreprendras pas une légere cure ;
Et je puis t’en promettre un honneur sans égal.
La rechûte, dit-on, est pire que le mal ;
Mais à guérir le mien, s’il faut que tu consentes,
Tiens mon cœur en état d’en avoir de fréquentes,
Et songe qu’avec toi, ravi de s’embourber,
Il ne voudra guérir qu’afin de retomber.

BÉATRIX.

Va, Guzman, j’aurai soin, de peur qu’il ne t’empire,
D’avoir quelque douceur chaque jour à te dire ;
Ni langueurs ni soupirs ne te coûteront rien.

GUZMAN.

Je crois qu’aux délicats tout cela fait grand bien ;
Mais pour moi, qui crains fort les crudités venteuses
J’eus toujours l’estomach contraire aux viandes creuses ;