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Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 4, 1748.djvu/219

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Mais pour moi ce mériteest un bien imparfait,
C’est peu qu’en être digne, il faut l’être en effet.
Vous dépendez d’un Père ombrageux, politique,
Jeune encor, défiant, qui craint la République.
Vous avez le cœur grand, ferme, résolu, chaud,
Prompt, hardi ; cependant c’est un Roi qu’il me faut,
Un puissant Allié qui brûlant de me suivre,
Se serve des moments qui me restent à vivre.
Je n’en ai point à perdre, et dans l’âge où je suis
C’est à moi de presser la fin de mes ennuis.
Perdre un jour, sans chercher à remplir ma vengeance,
Ce seroit avec Rome être d’intelligence.
Je dois à sa ruine un éternel effort,
Et rien ne me pourroit consoler de ma mort,
Si j’avois négligé de tout mettre en usage
Pour lui faire sentir ce qu’a souffert Carthage.
J’aime votre personne, et le Ciel m’est témoin
Que peut-être amitié n’alla jamais plus loin ;
Mais quoi que je l’éprouve aussi tendre que forte,
Je ne puis vous cacher que la haine l’emporte,
Et que l’une à mon cœur ne peut faire oublier
Ce qu’aux transports de l’autre il doit sacrifier.
Je vous aime depuis que j’ai su vous connoître
Mais je hais les Romains même avant que de naître.
À peine au jour encor j’avois ouvert les yeux,
Que j’en jurai la perte en présence des Dieux.
À ces nobles serments j’ai sans réserve aucune
Immolé biens, honneurs, repos, gloire, fortune.
J’ai vu sans démentir ce que j’avois promis,
Et ma Patrie ingrate, et les Dieux Ennemis.
Jugez si l’amitié pourroit sans infamie
Triompher d’une haine à ce point affermie,
Et faire négliger à ses transports mourants
L’heureuse occasion d’abaisser mes Tyrans.

Nicomède

Eh, plût aux Dieux, Seigneur, que pour flatter ma peine
Vous connussiez l’amour aussi bien que la haine,