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Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 4, 1748.djvu/218

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Il épouse ma Fille, et c’en est là le gage.
Ainsi vous n’aurez plus à leur servir d’otage,
Et mon départ trompant un ordre rigoureux,
Vous laissera paisible, et Prusias heureux.

Nicomède

Vous perdre est un malheur que mérite mon Père ;
Mais savez-vous, Seigneur, ce que vous allez faire ?
Je meurs par cet hymen s’il se doit achever,
Et vous m’assassiner en me voulant sauver.
Ah, pourquoi si longtemps ma trop timide flamme
S’est-elle par respect renfermée en mon âme ?
Mais quoi, mille devoirs, mille soins empressés,
Mes soupirs, mes langueurs, vous en ont dit assez.
Combien m’avez-vous vu pour la charmante Élise…

Annibal

Oui, Prince, il ne faut point que je vous le déguise.
J’ai connu votre amour, et comme il m’a fait voir
Que ma haine pour Rome a sur vous plein pouvoir,
Charmé des sentiments que vous prenez contre elle,
J’en voudrois par mon sang reconnoître le zèle ;
Mais quoi que pour vos feux il puisse m’inspirer,
Vous me connoissez trop pour en rien espérer.

Nicomède

Pour en rien espérer ! Ah, Seigneur, par quel crime
Ai-je pu mériter de perdre votre estime ?
À quoi que vos souhaits puissent être attachés,
N’avez-vous pas en moi tout ce que vous cherchez ?
Trouverez-vous ailleurs une âme plus fidèle,
Plus de respect pour vous, plus d’ardeur, plus de zèle,
Et si de votre haine il faut prendre la loi,
Détester vos Tyrans, qui les hait plus que moi ?

Annibal

Je dois vous l’avouer ; j’ai beau chercher une âme
Que du solide honneur l’intérêt seul enflamme.
Ce n’est qu’abaissement dans tout ce que je vois,
Et quand je vous compare avec nos plus grands Rois,
Dans le foible honteux qu’ils laissent tous paroître,
Je ne vois que vous seul qui méritiez de l’être.