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Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 4, 1748.djvu/224

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Mais aussi trop d’ardeur à ma vengeance est due
Pour souffrir qu’aucun temps en borne l’étendue.
Je satisfois à tout en m’éloignant d’ici,
C’est par là que je puis vous tirer du souci.
Mon départ laissera le Prince en assurance,
Ma haine en liberté, Rome sans défiance.
Aussi souffrez, Seigneur…

Prusias

Vouloir quitter un Roi
Qui ne réserve rien pour vous prouver sa foi,
Qui vous fait partager la puissance suprême,
Respecter dans la Cour à l’égal de lui-même,
Et pour votre repos…

Annibal

C’est me connoître mal.
Quoi, parler de repos pour moi, pour Annibal ?
Instruit de ses travaux, avez-vous lieu de croire
Qu’à s’exiler soi-même il auroit mis sa gloire,
Pour venir en ces lieux, démentant sa fierté,
Languir dans une ingrate, et lâche oisiveté ?
Si l’ardeur du repos eût touché mon envie,
J’aurois vécu, Seigneur, au sein de ma Patrie,
Et joui des honneurs dont le traité de paix
Laissoit parmi les miens le choix à mes souhaits ;
Mais Rome, pour avoir triompher de Carthage,
N’avoit pas d’Annibal surmonté le courage.
L’Afrique n’osant plus lui faire d’Ennemis,
Pour l’attaquer d’ailleurs il se croit tout permis,
Et son Pays n’a point de douceur qui l’entraîne,
Lorsque pour les Romains il n’y voit plus de haine.
Voilà ses sentiments, réglez-vous là-dessus.
Le Prince doit partir, les ordres sont reçus,
Faites-les révoquer, ou sans vous en plus dire
Chez Attale demain, Seigneur, je me retire.
J’attends votre réponse, et vous laisse y rêver.