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Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 4, 1748.djvu/223

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Souvent l’occasion y fait plus que le nombre.
Les plus grands corps, Seigneur, produisent le plus d’ombre,
Et si faisant la paix j’ai rendu des États,
Voyez si j’avois lieu de ne le faire pas.
Je voyois en Syrie, en Macédoine, en Grèce,
Les Peuples abattus, tremblants, pleins de foiblesse,
Philippe étoit défait, Antiochus détruit,
Et partout les Romains triomphoient à grand bruit.
De tant d’heureux succès leurs légions trop fières
Cherchoient à leurs exploits de nouvelles matières,
Et si j’eusse trop haut porté le nom de Roi,
Toutes se ramassant alloient fondre sur moi.
Seul à tant d’ennemis ne pouvant faire tête,
Par une fausse paix j’écarte la tempête ;
Pour trouver les Romains à vaincre plus aisés,
J’attends par quelque guerre à les voir divisés.
Cependant du Sénat dont je crains la puissance,
Lui commettant mon Fils, j’acquiers la confiance,
Pour voir Attale à moi je le rends mon égal,
Fais des Amis partout, et retiens Annibal.

Annibal

Ces projets déguisés dont votre âme est charmée
Marquent une prudence et rare et consommée ;
Mais pardonnez, Seigneur, si je ne puis cacher
Qu’en vous coûtant un Fils ils vous coûtent trop cher.
L’envoyer au Sénat, c’est lui donner un gage
Du plus injurieux et servile esclavage.
C’est vous assujettir à tout ce que de vous
Il plaira d’ordonner à ses soupçons jaloux.
C’est vouloir, sans que rien le rende nécessaire,
Ce que tout détrôné Philippe eut peine à faire.
Enfin, Seigneur, enfin, c’est me lier les mains,
M’ôter l’entier pouvoir d’attaquer les Romains,
Ou leur donner sur vous par où venger sans peine
Tous les maux que sur eux doit répandre ma haine.
Et je consentirois à rester à ce prix ?
Non, non, je vous dois trop pour perdre votre Fils ;