Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 4, 1748.djvu/576

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ARIANE.

Et puis-je trop l’aimer, quand tout brillant de gloire
Mille fameux exploits l’offrent à ma mémoire ?
De cent Monstres par lui l’Univers dégagé
Se voit d’un mauvais sang heureusement purgé.
Combien ainsi qu’Hercule a-t-il pris de victimes ?
Combien vengé de morts, combien puni de crimes ?
Procuste et Cercyon, la terreur des Humains,
N’ont-ils pas succombé sous ses vaillantes mains ?
Ce n’est point le vanter que ce qu’on m’entend dire.
Tout le monde le sait, tout le monde l’admire ;
Mais c’est peu, je voudrois que tout ce que je vois
S’en entretînt sans cesse, en parlât comme moi.
J’aime Phèdre ; tu sais combien elle m’est chère.
Si quelque chose en elle a de quoi me déplaire,
C’est de voir son esprit de froideur combattu,
Négliger entre nous de louer sa vertu.
Quand je dis qu’il s’acquiert une gloire immortelle,
Elle applaudit, m’approuve, et qui feroit moins qu’elle ?
Mais enfin d’elle-même on ne l’entend jamais
De ce charmant Héros élever les hauts faits.
Il faut en leur faveur expliquer son silence.

NÉRINE.

Je ne m’étonne point de cette indifférence.
N’ayant jamais aimé, son cœur ne conçoit pas…

ARIANE.

Elle évite peut-être un cruel embarras.
L’Amour n’a bien souvent qu’une douceur trompeuse ;
Mais vivre indifférente, est-ce une vie heureuse ?

NÉRINE.

Apprenez-le du Roi, qui de vous trop charmé
Ne souffriroit pas tant, s’il n’avoit point aimé.