Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 4, 1748.djvu/599

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Vois Ariane en pleurs. Ariane autrefois
Toute aimable à tes yeux méritoit bien ton choix :
Elle n’a point changé, d’où vient que ton cœur change ?

THESEE.

Par un amour forcé qui sous ses lois me range.
Je le crois comme vous ; le Ciel est juste, un jour
Vous me verrez puni de ce perfide amour ;
Mais à sa violence il faut que ma foi cède.
Je vous l’ai déjà dit, c’est un mal sans remède.

ARIANE.

Ah, c’est trop, puisque rien ne te sauroit toucher,
Parjure, oublie un feu qui dût t’être si cher.
Je ne demande plus que ta lâcheté cesse
Je rougis d’avoir pu m’en souffrir la bassesse.
Tire-moi seulement d’un séjour odieux,
Où tout me désespère, où tout blesse mes yeux,
Et pour faciliter ta coupable entreprise,
Remène-moi, Barbare, aux lieux où tu m’as prise.
La Crète, où pour toi seul je me suis fait haïr,
Me plaira mieux que Naxe, où tu m’oses trahir.

THESEE.

Vous remener en Crète ! Oubliez-vous, Madame,
Ce qu’est pour vous un Père, et quel courroux l’enflamme ?
Songez-vous quels ennuis vous y sont apprêtés ?

ARIANE.

Laisse-moi les souffrir, je les ai mérités ;
Mais de ton faux amour les feintes concertées,
Tes noires trahisons, les ai-je méritées ?
Et ce qu’en ta faveur il m’a plu d’immoler,
Te rend-il cette foi que tu veux violer ?
Vaine et fausse pitié, quand ma mort peut te plaire !
Tu crains pour moi les maux que j’ai voulu me faire,
Ces maux qu’ont tant hâtés mes plus tendres souhaits,
Et tu ne trembles point de ceux que tu me fais ?