Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 4, 1748.djvu/609

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ARIANE.

Pour porter sur l’Ingrate un coup vraiment terrible,
Il faut frapper par là, c’est un endroit sensible.
Vous-même jugez-en. Elle me fait trahir,
Par elle je perds tout, la puis-je assez haïr ?
Puis-je assez consentir à tout ce que la rage
M’offre de plus sanglant pour venger mon outrage ?
Rien après ce forfait ne me doit retenir,
Ma Soeur, il est de ceux qu’on ne peut trop punir.
Si Thésée oubliant une amour ordinaire,
M’avoit manqué de foi dans la Cour de mon Père,
Quoi que pût le dépit en secret ordonner,
Cette infidélité seroit à pardonner.
Ma Rivale, dirois-je, a pu sans injustice
D’un cœur qui fut à moi chérir le sacrifice.
La douceur d’être aimée ayant touché le sien,
Elle a dû préférer son intérêt au mien.
Mais Étrangère ici, pour l’avoir osé croire,
J’ai sacrifié tout, jusqu’au soin de ma gloire ;
Et pour ce qu’a quitté ma trop crédule foi,
Je n’avois que ce cœur que je croyois à moi.
Je le perds, on me l’ôte ; il n’est rien que n’essaye
La fureur qui m’anime, afin qu’on me le paye.
J’en mettrai haut le prix, c’est à lui d’y penser.

PHÈDRE.

Ce revers est sensible, il faut le confesser.
Mais quand vous connoîtrez celle qu’il vous préfère,
Pour venger votre amour, que prétendez-vous faire ?

ARIANE.

L’aller trouver, la voir, et de ma propre main
Lui mettre, lui plonger un poignard dans le sein.
Mais pour mieux adoucir les peines que j’endure,
Je veux porter le coup aux yeux de mon Parjure,
Et qu’en son cœur les miens pénètrent à loisir
Ce qu’aura de mortel son affreux déplaisir.
Alors ma passion trouvera de doux charmes
À jouir de ses pleurs comme il fait de mes larmes.